Le “Trésor” de Chartres enfin visible dans la chapelle Saint-Piat
Notre-Dame de Chartres est l’une des plus grandes cathédrales gothiques dédiées à la Vierge. Elle possède l’un des plus riches patrimoines de vitraux des XIIe et XIIIe siècles. Au XIIIe siècle, la cathédrale de Chartre va inaugurer la série des cathédrales « classiques» avec fenêtres hautes. Son décor sculpté en fait le modèle “presque” absolu de l’art gothique. Pour l’exceptionnelle harmonie entre l’architecture, la sculpture et le vitrail, Chartres fut le premier monument français inscrit sur la liste du Patrimoine mondial de l’humanité de l’UNESCO dès 1979. Mais remontons l’actualité jusqu’à septembre 2024, célébrant le millénaire de la crypte et l’ouverture aux visiteurs du trésor de la cathédrale. Il est mis en lumière dans la chapelle Saint-Piat* entièrement restaurée.
*Accessible par un escalier droit depuis le déambulatoire du chœur.

I/ Principale source du “trésor”, le culte de la Vierge
Le trésor s’est constitué autour de reliques insignes* dont la plus précieuse est le voile de la Vierge, ou Sancia Camisia. Elle a suscité un pèlerinage parmi les plus importants d’Occident. Leur vénération a été la source de dons importants par l’offrande d’argent, d’ex-voto ou d’œuvres précieuses, constituant peu à peu l’un des trésors les plus riches de France.
*Relique insigne est appelée ainsi quand notamment le corps d’un saint est entier ou qu’il s’agisse d’un membre complet (tête, bras, jambe). Ici à Chartres, le voile de la Vierge se présentait dans son intégralité.
Le voile de la vierge, relique inépuisable de richesse
Ce voile (appelé Sancta Camisia) aurait été, selon la tradition, porté par la Vierge lors de l’Annonciation ou à la Nativité du Christ. C’est l’une des plus précieuses reliques détenues par Notre-Dame de Chartres. Elle fut offerte à la cathédrale en 876 par Charles le Chauve, et conservée, à partir du Xe siècle dans un précieux reliquaire connu par des inventaires et une gravure exécutée en 1697. À l’instar de celui de Sainte Foy de Conques, son âme en bois était recouverte de plaques d’or et parée de joyaux offerts au cours des siècles dont le fameux camée de Jupiter*.
*Grand camée d’origine romaine représentant Jupiter debout réutilisé pour orner la Châsse du voile de la Vierge. Il est conservé aujourd’hui à la BNF (Bibliothèque Nationale de France).

Les trois vertus spécifiques qu’offrait le voile de la Vierge
Les reliques du voile de la Vierge firent la réputation de la cathédrale de Chartres. Elles attirèrent pèlerins, donateurs, rois et reines de France qui effectuèrent de fréquents pèlerinages pour obtenir la protection de la Vierge.
Une protection pour les femmes enceintes, les soldats et contre les incendies !
Ce voile apportait aux croyants l’assurance d’une délivrance sans danger pour les femmes enceintes. Il protégeait les soldats. Enfin, il permettait d’arrêter les incendies. Rien n’y fit pourtant quand le 4 juin 1836, suite à l’imprudence d’ouvriers plombiers qui effectuaient des réparations dans les combles de la cathédrale, un incendie se déclara sans toucher heureusement la structure même de l’édifice.
À la Révolution, la Sainte-Châsse fut démembrée et le voile découpé en morceaux. En 1876, à l’occasion du millième anniversaire du don de la relique, un reliquaire monstrance en cuivre doré fut créé pour abriter le plus grand fragment préservé.
Le trésor de nouveau visible dans la chapelle Saint-Piat

Fermé depuis le début des années 2000, le trésor de la cathédrale de Chartres est de nouveau accessible au public depuis septembre 2024. Traditionnellement, le terme de « trésor » renvoie aux objets précieux qui servent à l’exercice ou à l’ornement du culte, ainsi qu’à la vénération des reliques. Il est exposé dans la chapelle Saint-Piat édifiée au XIVe siècle.
Une chapelle destinée à recevoir les reliques de Saint Piat
Cette chapelle était destinée à recevoir les reliques de Saint Piat particulièrement vénérées. La cathédrale ne s’enorgueillissait-elle pas de posséder le corps entier de ce saint ! En 1323, le chapitre de Notre-Dame de Chartres commandait donc à Hugues d’Ivry, maitre de l’œuvre de la cathédrale, une salle capitulaire de trois travées voûtées d’ogives. Un an plus tard, la décision fut prise de surélever le bâtiment pour créer une chapelle où fut placer Ia châsse de saint Piat, évêque de Tournai, martyrisé au IIIe siècle, près de Chartres (dont les reliques avaient été reconnues en 1310). Cette chapelle établie à l’étage de la salle capitulaire servit jusqu’à la Révolution. Elle ne fut affectée au Trésor de la cathédrale qu’en 1961, alors que la salle capitulaire avait été aménagée en caveau des Évêques depuis 1905.
Une raison de plus de retourner à Chartres
Voici une raison de plus de retourner à Chartres : voir son extraordinaire trésor ! Connu par des inventaires depuis 1322, c’est l’un des trésors les plus emblématiques de France. Il est à nouveau en lumière au cœur de la chapelle Saint-Piat qui vient d’être restaurée : 150 objets ou ensembles d’objets dédiés à la célébration et à l’ornement du service divin et d’œuvres précieuses magnifiquement présentés dans la chapelle haute, la salle capitulaire et les deux tourelles du XIVe siècle.
Un trésor “recomposé”
Aujourd’hui, le trésor de la cathédrale de Chartres est, comme beaucoup de trésors cathédraux de France, un trésor «recomposé » comportant quelques pièces du trésor historique et d’autres intégrées depuis la Révolution. Hier comme aujourd’hui, le trésor s’enrichit encore de nos jours ainsi qu’en témoignent les récentes créations de l’orfèvre Goudji pour le service divin.
*Un trésor “recomposé”. Au moment de la Révolution, de nombreux reliquaires furent profanés, la quasi-totalité de l’orfèvrerie fondue, les textiles brûlés pour récupérer l’or et l’argent de leurs fils. À partir du Concordat, le trésor fut lentement reconstitué grâce à des commandes et à de dons, notamment après l’incendie de la charpente en 1836. Aujourd’hui, c’est un trésor recomposé, constitué de pièces du trésor historique mais surtout de dépôts et d’enrichissements postérieurs, jusqu’à nos jours. La quasi-intégralité des œuvres présentées dans le trésor que vous verrez a été restaurée à l’occasion.
II/ A la découverte du trésor de Chartres. Epoustouflant !
Une Vierge à l’Enfant qui accueille les visiteurs.

C’est une Vierge à l’Enfant qui accueille les visiteurs à l’entrée de la chapelle Saint-Piat. Elle vient d’être entièrement restaurée* afin de recevoir le Trésor de la cathédrale de Chartres. Ce joyau d’architecture du XIVe siècle paré d’un magnifique ensemble de verrière est située dans l’axe du chevet de la cathédrale. “Il y a un lien très fort entre la Vierge et la cathédrale, on a donc souhaité garder cette symbolique” précise Irène Jourd’heuil, conservateur en chef du patrimoine Centre-Val-de-Loire.
*La chapelle est constitué de deux entités distinctes, la salle capitulaire du chapitre cathédrale au rez-de-chaussée, qui sert de soubassement à la chapelle proprement dite située à l’étage. La salle capitulaire fut construite à partir de 1323,. À l’étage, la chapelle a été mise en chantier dès 1324 pour abriter des reliques de saint Piat.
Quelques uns des trésors les plus émouvants
Culte mariale, cette statuette de la Vierge à l’Enfant

1/ Cette statuette de la Vierge à l’Enfant passe pour avoir été l’image la plus fidèle de la Vierge de Notre-Dame-de-Sous-terre détruite en 1793. Elle servit de modèle pour tailler la copie remise en place dans la crypte en 1857. Elle évoque la Vierge qui doit enfanter (Virgo paritura) vénérée à Chartres depuis les premiers siècles du christianisme.
2/Panneau peint sur bois du XVII siècle. Illustration naive, mais fidèle, cette peinture évoque la statue de Notre-Dame-de-Sous-terre telle qu’elle se présentait après la restauration de la chapelle au XVIIe siècle.
3/Relique d’accouchée (laiton fondu) du XVIIe siècle. Cette relique en forme de bébé emmailloté a probablement été offerte en ex-voto d’une naissance sous la protection de la Vierge de Chartres.
Le tabernacle de Saint-Aignan

Acquis en 1806, ce probable reliquaire, dit tabernacle de Saint-Aignan, date des environs de 1200. Son âme en chêne est recouverte de feuilles d’or sur lesquelles sont rapportés des médaillons de cuivre ornés d’anges. Les volets sont constitués de plaques de cuivre en émaux champlevés limousins du XIIIe siècle et sont parés de figures d’applique en cuivre doré représentant les Apôtres recevant le Saint-Esprit le jour de la Pentecôte.
Couronnes et sceptres de la Vierge
Des couronnes conçues au moment du dogme de l’Immaculée Conception

Couronnes de Notre-Dame du pilier et de l’Enfant (1855), argent doré, émail, améthyste, diamant. Ces couronnes ont été conçues pour Notre-Dame du Pilier à l’occasion de la cérémonie du couronnement de la Vierge, le 13 mai 1859, au moment du dogme de l’Immaculée Conception.
Ex-voto de tribus Hurons et Abénaquis du Canada

Emouvant ex-voto de deux colliers (ou wampums) en perles de coquillages offerts par les Nations Huronnes (1678) et Abénaquis (peuple habitant le territoire à l’est du fleuve Hudson jusqu’à l’Atlantique) à la vierge de Chartres afin de confirmer leur soumission (gage d’alliance à la Vierge).
III/ Salle capitulaire et cette surprenante découverte !
Au niveau inférieur de la chapelle Saint-Piat, la salle capitulaire accueille principalement du lapidaire, en particulier deux ensembles sculptés majeurs de la cathédrale : les reliefs conservés du jubé du XIIIe siècle, démonté en 1763, ainsi que les statues colonnes déposées du Portail royal dans les années 1970. Mais ce qui a bouleversé restaurateurs et historiens est la mise au jour, dans la salle capitulaire, de quatre décors historiés composant un exceptionnel ensemble peint du XIVe siècle.

La vision de la cathédrale de Chartres en cours de construction

Représentation de la flèche nord romane, disparue au début du XVIe siècle.
Parmi eux, une découverte exceptionnelle, une représentation inédite de la cathédrale en cours de construction. Édifiée par quatre artisans et tailleurs de pierre maniant le taillant, Notre-Dame est reproduite avec une étonnante fidélité, en particulier sa façade occidentale où le Christ bénissant règne sur la galerie des rois, la rose du XIIIe siècle et les lancettes du XIIe siècle. Dominant la tour sud et la couverture médiévale de la nef anéantie par l’incendie de 1836, on découvre en particulier dans cette image l’unique représentation connue à ce jour de la flèche nord romane, disparue au début du XVIe siècle.

Les restes du jubé médiéval, un sommet de l’art gothique !
La salle capitulaire, dédiée à la statuaire, accueille un ensemble de statues-colonnes et de colonnettes du Portail royal, ou encore un ensemble de reliefs et sculptures provenant du jubé du XIIIe siècle, détruit à partir de 1763 et retrouvé dans le sol de la cathédrale au XIXe siècle : ce jubé est unanimement considéré comme un sommet de l’art gothique. Son exceptionnel état de conservation, le raffinement de son style, la qualité d’exécution en font même, aux yeux de nombreux critiques d’art, l’une des œuvres phares de la sculpture médiévale.





IV/ 2024, le millénaire de la crypte
Quelle coincidence plus symbolique pour célébrer* le millénaire de la crypte édifiée par l’évêque Fulbert (XIe siècle) que l’ouverture au public du trésor de la cathédrale ! Dans cette crypte, tout est exceptionnel, ses dimensions de plus de 220 m de long et son état de conservation. Elle est la troisième crypte au monde par sa taille. Surtout, elle servit de fondation à la cathédrale de Chartres (probablement la 7e cathédrale construite sur le même emplacement). Elle est venue envelopper le “caveau Saint-Lubin” associé à la cathédrale carolingienne dont quelques vestiges sont encore conservés sous le chœur.
*Une fête du millénaire qui se déroule du 7 septembre 2024 au 15 août 2025.




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