Cléopâtre, son histoire, sa légende…, le mythe !

L’une des seule représentations historiques de Cléopâtre VII sur la face de ce drachme, monnaie frappé à Alexandrie (Egypte) : 47/6 av. J.-C, argent. (Bibliothèque nationale
de France, département des Monnaies, médailles et antiques © BnF).

Cléopâtre, icône féministe ! Sa renommée dépasse maintenant de loin celle des hommes ayant partagé sa vie ou étant opposés à elle. Ici, La Mort de Cléopâtre, 2022 de Nazanin Pouyandeh, peintre iranienne née à Téhéran en 1981. Mais elle n’est pas la seule, il y a l’Afro-Américaine Barbara Chase-Riboud ou encore la Grecque Esmeralda Kosmatopoulos qui se se jouent des clichés masculins portés sur Cléopâtre pour affirmer sa puissance et son courage. Photo © François Collombet

Qu’il soit de style grec ou égyptien, il ne subsiste aucune statue ni buste qui puisse être attribué à la reine avec certitude. La première sculpture qu’on puisse comparer à ces portraits est une tête de style hellénistique conservée au Vatican et trouvée le long de la Via Appia en 1784. Malgré la disparition du nez, l’œuvre est de grande qualité. A gauche Tête d’homme (en marbre), dit pseudo Marc-Antoine, fin du 1er siècle av. J.-C. avec qui elle a une liaison. Ils vont ensemble gouverner le Proche-Orient romain. A droite buste d’Octave qui deviendra, après la bataille d’Actium, Auguste, maître de l’ensemble du monde romain réunifié. Photo © François Collombet


 D’après l’égyptologue Christiane Ziegler, commissaire scientifique de l’exposition : “Elle est la souveraine du plus riche royaume de la Méditerranée antique, elle se conduit en chef d’État, et c’est une femme intelligente et cultivée”. Christiane Ziegler est la directrice honoraire du département des antiquités égyptiennes du musée du Louvres. Photo © François Collombet
Statue d’un prince ptolémaïque, peut-être Césarion, époque ptolémaïque ou romaine, 1er siècle av. J.-C. Photo © François Collombet
Fac-similé du papyrus dit de Cléopâtre exposé lors de l’exposition est un manuscrit de l’époque ptolémaïque, rédigé en grec et daté du 23 février 33 av. J.-C., dont la signature est attribuée à Cléopâtre VII Philopator (qui aime sa patrie). L’original est conservé au Musée égyptien de Berlin. Photo © François Collombet
Ce papyrus date du règne de Cléopâtre. On apprend que comme tous les Ptolémées avant elle, elle gère l’Egypte comme sa propriété personnelle, levant l’impôt sur les terres à blé et des taxes sur toutes les activités en s’appuyant sur une monnaie fiduciaire forte qu’elle a généralisée. Une première à l’époque ! Photo © François Collombet

I/ Cléopâtre et la réalité historique

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Plus grande ville du bassin méditerranéen, Alexandrie est fondée par Alexandre le Grand. Située entre la côte et le lac Maréotis, elle communique avec le Nil. Elle possède deux ports auxquels les bateaux accèdent grâce au Phare, merveille du monde antique. Alexandrie est une ville nouvelle de style grec, ceinte remparts et quadrillée de rues. Les premiers Ptolémées en font le symbole de leur puissance. Dans le quartier nord-est, ils édifient la grande bibliothèque et le musée, véritable centre de recherche. Les palais royaux, un temple d’Isis et le tombeau de Cléopâtre ne furent jamais retrouvé. Ces bâtiments, décorés de sculptures grecques ou égyptiennes, ont disparu dans la mer. Illustration parue dans le jeu vidéo : Assassin’s Creed Origins (Ubisoft Entertainment).
Maquette de décor en volume de la cour au palais de Cléopâtre à Alexandrie vers 1881. Maquette réalisée pour “Les Mille et Une Nuits”, féérie en 3 actes et 31 tableaux (Acte II, tableau 14) de Philippe Chaperon (1823-1906). Photo © François Collombet
Christian-Georges Schwentzel devant cette corniche en grès polychrome du temple aux cartouches de Cléopâtre VII et de Césarion (époque ptolémaique, vers 40 av.. J.-C. Egypte Coptos). Professeur d’histoire ancienne à l’université de Lorraine, Christian-Georges Schwentzel écrit sur l’Égypte des Ptolémées “Cléopâtre”, PUF, “Que sais-je ?” et sur le Proche-Orient hellénistique et romain “Hérode le Grand” Pygmalion. Photo © François Collombet
Cléopâtre VII, vue d’artiste (Copyright Ubisoft). Elle a été immortalisée par de nombreux écrivains et cinéastes, notamment par Shakespeare dans Antoine et Cléopâtre, et par Hollywood dans Cléopâtre (1963) avec Elizabeth Taylor et Richard Burton. DR
Engagée dans la guerre contre Rome, Cléopâtre assiste sur son navire à la défaite d’Actium en 31 avant notre ère. Cette bataille se déroula au sud de Corfou, au nord-ouest de la Grèce , aux abords du golfe Ambracique (mer Ionienne). Ce bas-reliefs est exposés au musée de l’Ara Pacis à Rome, copies des originaux en marbre (Ier siècle) qui se trouvaient dans un temple dédié au culte impérial d’Auguste, conservés aujourd’hui à Cordoue. Photo © François Collombet

Antoine rapporté mourant à Cléopâtre par Eugène-Ernest Hillmacher, 1863. Croyant que Cléopâtre, dont il a été séparé, s’est donnée la mort, il finit par se jeter sur la pointe de son glaive. Photo © François Collombet
« Cléopâtre essayant des poisons sur des condamnés à mort » par Alexandre Cabanel (1887).  Cléopâtre se serait aperçue que ceux qui avaient été tués par un cobra, étaient plongés dans un agréable sommeil, râlant si l’on essayait de les lever et sans aucune marque sur la peau. Photo © François Collombet
La légende veut que Cléopâtre ait mis fin à ses jours à l’aide d’une vipère aspic venimeuse (Vipera aspis) mais il n’existe aucune preuve de cela. De même, les archéologues n’ont jamais retrouvé le mausolée où elle, et probablement Marc Antoine, sont morts. Ici, Cléopâtre se donnant la mort de Claude Vignon vers 1650, Rennes, musée des Beaux-Arts. Photo © François Collombet
Christian-Georges Schwentzel, partisan du suicide par morsure de serpent

D’après Plutarque, la souveraine se tue en se faisant mordre par un serpent (aspic ?)*. Christian-Georges Schwentzel,en a la conviction. Il cite cite dans son ouvrage Cléopâtre, la déesse-reine un passage de la Vie d’Antoine de Plutarque qui relate que des œufs de reptile furent retrouvés sur le rebord de fenêtre (mais point d’épingle empoisonnée). Il rappelle que les Égyptiens étaient connus pour charmer les serpents. Alors Cléopâtre aurait-elle pu préparer son suicide en bénéficiant de la complicité de guérisseurs berbères ayant la réputation d’être immunisés. Ils auraient endormi l’animal et auraient appris à Cléopâtre à le réveiller. D’après Suétone, Octave aurait fait appel à eux pour tenter de la ranimer, en vain.

*Selon la religion polythéiste égyptienne, la morsure de l’uræus (cobra femelle) incarné par la déesse-cobra Ouadjet, protectrice des pharaons, permet d’accéder à l’immortalité et à la divinité.

Cléopâtre mourant, debout, attribuée à Jean-Baptiste Goy, XVIIe siècle, château de Versailles et Trianon. Photo © François Collombet
Monnaie de Cléopâtre, 47-44 av. J.-C. Buste de Cléopâtre en Aphrodite tenant Césarion en Eros dans ses bras. Revers : double corne d’abondance. © DR
Détail de la façade de Dendérah (Tentyris). Temple d’Hathor: le mur extérieur du temple de la déesse Hathor, à Dendérah
(sud de l’Egypte) fut décoré par Cléopâtre. Elle y est représentée en reine pharaonique avec son fils Ptolémée César, dit
Césarion, figuré en pharaon. (DR)
Cléopâtre mourant, 1700 de François Barois (1658-1728) Musée du Louvres. Selon Christian-Georges Schwentzel, « Le contact entre la poitrine dénudée et les serpents accentue la dimension érotique du suicide, associant de manière cruelle et sadique Eros et Thanatos, la sexualité et la mort ». Photo © François Collombet

Vaincue à la bataille d’Actium par Octave, Cléopâtre se suicide en août 30 avant notre ère. Alors que ses sujets égyptiens et grecs la voient comme une déesse vivante garantissant la prospérité de
son royaume, des auteurs romains, relayant la propagande du vainqueur, la qualifient de regina meretrix ou « reine prostituée ». A l’opposé, des écrivains arabes du Moyen Age la décrivent en figure maternelle, protectrice de son peuple, érudite et savante. En Occident, à partir du XVIe siècle, Cléopâtre connaît un exceptionnel destin posthume à travers la littérature et les arts avec la représentation fantasmée de sa mort.

Nathalie Bondil, directrice du musée et des expositions à L’institut du monde arabe évoque les représentations de Cléopâtre qui ont entretenu sa légende par le biais d’écrits et de tableaux. Ainsi l’impressionnant La mort de Cléopâtre, par Jean-André Roxens (1874) , ci-contre : ” d’autant que les représentations faites d’elle dès le XVIIIe la montrent plutôt comme une femme amoureuse qu’une femme fatale “. Photo © François Collombet
La mort de Cléopâtre de Guido Cagnacci peintre italien appartenant à la période tardive du baroque italien,

Cléopâtre au théâtre, de l’héroïne tragique à la star orientaliste

Si la tragédie de Shakespeare Antoine et Cléopâtre* popularise ce drame, ce sont les grandes comédiennes, de Sarah Bernhardt à Liz Taylor, qui vulgarisent son destin à l’ère médiatique. Cléopâtre deviendra une figure mythique grâce au théâtre, au cinéma, à la publicité, à la télévision et à la bande dessinée. En devenant l’une des femmes les plus connues au monde, le mythe l’emporte sur les faits, entraînant une durable confusion, voire des récupérations hasardeuses, aux dépens de la connaissance de la cheffe d’Etat historique.

*Antoine et Cléopâtre a été montrée pour la première fois au public à Londres en 1606-1608. Quand il l’écrivit, Shakespeare avait sur sa table son exemplaire de Plutarque (Vie d’Antoine). C’est avec Jules César, sa deuxième pièces romaine.

Georges-Antoine Rochegrosse Sarah Bernhardt dans le rôle de Cléopâtre après 1890 – Collection Particulière. Photo © François Collombet

Cléopâtre, star du cinéma?

Bien avant Joseph Mankiewicz (1963) et plus récemment Alain Chabat, Cléopâtre a séduit de nombreux artistes. Au théâtre, Sarah Bernhardt l’a incarnée dès 1890. Au cinéma, Jehanne d’Alcy est la première actrice à incarner, en 1899, Cléopâtre VII dans un film de deux minutes de Georges Méliès.

67 films sur Cléopâtre avant celui de de Joseph L. Mankiewicz. 225 autres films vont suivre

Quand le 12 juin 1963 sort Cléopâtre de Joseph L. Mankiewicz, avec Liz Taylor, 67 films ont déjà été consacrés à la reine, incarnée dans des rôles de femme fatale par trois actrices charismatiques. Mais les 225 films qui vont suivre entre 1963 et 2023 prouvent que sa postérité cinématographique n’a jamais faibli”, analyse, dans le catalogue, Jean-Luc Bovot archéologue, ingénieur d’études au Musée du Louvre, contribuant ainsi à perpétuer des stéréotypes tenaces au mépris de la vérité historique.

Elisabeth Taylor dans Cleopatra, réalisé par Joseph l. Mankiewicz, 1963, crédit: Everett Collection/Bridgeman Images © 20th Century Fox Film, Corporation Everett Collection Bridgeman Images

Cléopâtre, reine du marketing

Connu du monde entier, le nom de Cléopâtre fait rêver et acheter. So nom apparaît sur plus de 1500 marques déposées (savons, paquets de riz, cigarettes, huile d’olive, et même tatouages). Le simple fait d’évoquer la reine fait vendre. Depuis la sortie du film de Mankiewicz en 1963, sa popularité ne cesse de croître transcendant les frontières et les cultures. Deux constantes ressortent : la reine demeure un symbole de beauté et de sensualité. Son image kitsch et stéréotypée apparaît systématiquement sous des traits égyptiens fantaisistes. Ce mélange entre exotisme antique et glamour hollywoodien ancre la figure mythique de Cléopâtre dans l’imaginaire collectif.

Shourouk Rhaiem, Cleopatra’s Kiosk, 2025, Paris, collection de l’artiste. Shourouk Rhaiem est une artiste français d’origine tunisienne créatrice de bijoux dont le travail explore le pouvoir émotionnel et symbolique de la culture de consommation. Sa dernière installation a été dévoilée en juin 2025 à l’Institut du Monde Arabe dans le cadre de l’exposition Le Mystère de Cléopâtre. Photo © François Collombet
Institut du monde arabe, 1, rue des Fossés-Saint-Bernard, Place Mohammed V Paris 75005. Pour découvrir Cléopâtre, dernière reine d’Egypte, une figure complexe, à la croisée de l’histoire et du mythe, dont la vie illustre les défis et les opportunités d’une femme de pouvoir dans un monde dominé par les hommes. Photo © François Collombet

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