Dans les coulisses d’un opéra mythique qui fascine le monde entier
Emblème du patrimoine national, l’Opéra Garnier du nom de son architecte, accueille près d’un million de visiteurs et propose environ 200 levers de rideau par an grâce à sa programmation d’opéras, de ballets et de concerts (sa célèbre façade est actuellement en restauration). C’est aussi à l’Opéra Garnier qu’est né le mythe du “Fantôme de l’Opéra” issu du roman de Gaston Leroux (1910). Un drame qui mêle les coulisses et les toits de l’Opéra Garnier et qui cultive le mystère autour de son lac souterrain et de sa machinerie. Faudrait-il évoquer également, nombre de secrets et de fantasmes qui ont jalonné son histoire ! 2025 voit la célébration de ses 150 ans.*
*A cette occasion est organisée du 15 octobre 2025 au 15 février 2026 : Le Palais Garnier, 150 ans d’un théâtre mythique. Exposition de l’Opéra national de Paris et de la Bibliothèque nationale de France.

.
Architecture grandiose et façade spectaculaire.
C’est le monument le plus imposant laissé par le Second Empire (Napoléon III). Il a été élevé de 1861 à 1875. L’emplacement du futur Palais fut choisi par le préfet Haussmann. Le projet prévoyait également l’ouverture d’une place et d’une rue. Ainsi, l’avenue de l’Opéra fut la plus grande révolution urbanistique du baron Haussmann. C’était le nouveau Paris, le Paris Haussmannien voulu par Napoléon III. Cet Opéra s’appela « Opéra de Paris » jusqu’en 1989. A l’ouverture de l’Opéra Bastille, également Opéra de Paris il est maintenant désigné par le seul nom de son architecte : « Opéra Garnier » ou « Palais Garnier ». Les deux opéras sont désormais regroupés et forment l’Opéra national de Paris. Et c’est ainsi que Garnier devint le palais de la danse, lui qui à l’origine n’était pas conçu pour être un théâtre de ballet mais pour être le grand opéra à la française.

Ce célébrissime grand escalier conçu lui même comme un grand théâtre

Le grand escalier “spectacle” où il fallait se montrer !
Cet escalier est sans doute l’apothéose de l’Opéra Garnier. Il a été conçu comme une salle de spectacle où il fallait se montrer. Le travail de Garnier fut particulièrement attentif au moindre détail. Il choisit avec soins les marbres qui en font l’ornement, laissant libre cours à son goût pour la polychromie. On raconte qu’il chercha pendant un an le marbre blanc pour en faire les marches. Les balustrades furent un casse-tête. Il hésita pendant trois ans avant de se décider sur une matière inusitée, la fluorine. Au plafond, Le triomphe d’Apollon est l’œuvre de Pils, aidé de Clairin.
L’autre opéra de Paris, l’Opéra Bastille
L’Opéra Bastille est devenu lui aussi l’un des monuments emblématiques de la capitale française. Inauguré en 1989, cet édifice moderne conçu par l’architecte Carlos Ott est le lieu incontournable pour les amateurs d’opéra et de ballet. Si son architecture est contestable, sa grande salle de spectacle, dotée de plus de 2700 places, offre une acoustique exceptionnelle et une visibilité parfaite pour tous les spectateurs. La transparence des façades et la fluidité des espaces intérieurs en font un lieu à la fois majestueux et convivial.

Opéra Garnier, le rêve insensé d’un jeune architecte
Qui ne serait pas ébloui par cet opéra né il y a 150 ans du rêve insensé d’un jeune architecte de 36 ans auquel tout fut permis. Son projet, faire de son opéra l’un de plus somptueux édifices de Paris ! Magnificence est le mot ! Comment qualifier autrement ces escaliers monumentaux, ces frises de marbre, ces mosaïques, le chef d’œuvre du plafond signé Marc Chagall* dans un éclatant concert de couleurs et surtout cette salle à l’italienne ? Charles Garnier fit appel à 71 sculpteurs sans compter les sculpteurs ornemanistes. Quant au décor, extraordinairement coloré, il utilisa 33 variétés de pierres, dont de nombreux marbres et granits auxquels viennent s’ajouter bronzes et mosaïques.
*A la demande d’André Malraux, ministre de la Culture en 1962.
La plus grande scène du monde
La plus grande scène du monde dit-on avec 1350 m² et une hauteur de 72 m (27 m de profondeur, 48 m de large). Ainsi peut-elle accueillir des décors gigantesques et les plus éblouissants effets visuels. Dans ces murs légendaires, laissons maintenant entrer la cohorte des Etoiles, des Premières Danseuses, des Premiers Danseurs et tous ces Corps de Ballet dans le bruissement des tutus, le très léger touché des pointes (utilisées depuis la Sylphide créé en 1832), l’évanescence de la gaze blanche et du tulle et l’envolée étourdissante des Petits rats*. L’Opéra de Paris n’abrite t-il pas la plus ancienne académie de danse du monde !
*Pourquoi “Petits rats” ? Au XIXe siècle les jeunes élèves de l’école de danse étaient reconnaissables à leurs silhouettes très maigres. D’ailleurs ils n’arrêtaient pas de courir en petits groupes dans les couloirs à la recherche de nourriture. De plus, les entraînements se faisaient dans les combles et leurs pas résonnaient comme ceux des rats.
Ici, combien d’Etoiles…
Ici, combien d’Etoiles de la danse champion(ne)s de l’entrechat-six ont laissé des noms légendaires ? Que dire dès 1910, de la révolution qu’apportèrent les Ballets russes imposant la sensualité et la modernité d’un Vaslav Nijinski dans L’Oiseau de feu ou de Tamara Karsavina dans Shéhérazade ? Et le souvenir émouvant des trois apparitions de Maria Callas notamment dans Norma en 1964 ! Enfin, personne ne peut oublier le changement qu’apporta la nomination de Rudolf Noureev au poste de maître de ballet et directeur de la danse de 1983 à 1989.
Octobre 2025, le Ballet de l’Opéra de Paris faisait sa rentrée avec une exceptionnelle Giselle
Une entrée de saison dans la tradition au Ballet de l’Opéra de Paris avec une incontournable et exceptionnelle Giselle perle du ballet romantique, précédée du défilé (un rituel) de l’ensemble de la compagnie et des élèves de l’Ecole de danse, suivi d’un intermède du Junior Ballet.
Pour Dorothée Gilbert, ce sera son dernier Giselle
Moment émouvant puisqu’à cette occasion, Dorothée Gilbert, Etoile de l’Opéra de Paris, dit adieu à son rôle iconique sur la scène du Palais Garnier. Elle était entrée à l’école de danse de l’Opéra à 11 ans puis engagée à 17 ans dans le corps de ballet, elle devint l’une des très grandes interprètes de ce rôle. Son tout premier rôle fut Quadrille (premier des 5 grands rôles pour les danseuses et danseurs de l’Opéra). Sa première Giselle (la quintessence du ballet classique) fut en 2007 avant d’être nommée étoile, à Bastille, dans “Casse-Noisette“.

Sur la scène de l’Opéra Garnier, l’un des décors de Giselle (ballet)

Le peintre Edgar Degas fasciné par la vie quotidienne des danseuses de l’Opéra

Entrons dans le décor féérique d’un opéra mythique aux multiples secrets et légendes
Quel lieu de rendez-vous plus symbolique que la Rotonde des Abonnés, vaste vestibule circulaire aux multiples voûtes. Elle est située très exactement sous la salle de spectacle de l’Opéra. On y accédait autrefois en voiture (la volonté de Napoléon III) par l’entrée à couvert sur la façade est. Une atmosphère plutôt sombre voulue sans doute à titre de contraste avant d’atteindre les étages supérieurs. Au sol, de magnifiques mosaïques de marbre, un art que Garnier avait découvert lors de son séjour à Rome et qu’il réintroduisit en France.

Au plafond de la Rotonde des Abonnés, la signature de son architecte, Charles Garnier
C’est là que Charles Garnier a caché la signature de son œuvre alors même que cette pratique était interdite pour un bâtiment public. Sauriez-vous alors déchiffrer dans ce remarquable décor orné d’arabesques, les lettres entrelacées : « Jean Louis Charles Garnier 1861-1875 », encadrant les dates de début et de fin de construction. Une touche personnelle et un hommage discret du maître d’œuvre à son grand ouvrage.

Un opéra né de l’explosion d’une “machine infernale”
Le Palais Garnier, chef d’œuvre architectural connu dans le monde entier, est la treizième salle d’Opéra à Paris depuis la fondation de cette institution par Louis XIV en 1669. Mais sa construction fut la conséquence d’un attentat. Le 14 janvier 1858, l’Empereur Napoléon III et l’Impératrice Eugénie qui se rendent à l’Opéra (appelé alors l'”Académie impériale de musique”) au 12 de la rue Le Peletier à Paris sont victimes d’un attentat. Devant la porte d’entrée, trois explosions soufflent les vitres de leur voiture, les becs de gaz et les maisons voisines. Le couple impérial s’en sort indemne (grâce aux plaques de fer installées dans la voiture). Cet attentat, commis par Orsini, révolutionnaire italien devait faire 156 blessés et huit morts.
Le premier acte terroriste moderne
Cet attentat est aujourd’hui considéré par les historiens comme le premier acte terroriste moderne. Ainsi, « la machine infernale d’Orsini » décidera le pouvoir en 1860, d’entreprendre la construction d’une nouvelle salle. On est dans la période la plus brillante du Second Empire et l’Empereur voit grand : un opéra grandiose au milieu d’une place sans arbres face à une grande artère pour le relier en toute sécurité au palais des Tuileries (détruit pendant la Commune). Les travaux d’aménagement sont confiés au baron Haussmann, alors préfet de la Seine avec mission de dégager le plus d’espace possible et de percer d’immenses avenues (le futur boulevard des Capucines s’ouvrant sur la perspective de la future avenue dite de l’Opéra).
171 projets déposés dont celui de Viollet-le-Duc
Les projets d’architecture de l’opéra sont mis au concours. 171 sont alors déposés le 31 janvier 1861 au Palais de l’Industrie. Parmi eux, un favori, Viollet-le-Duc*. Il est le protégé de l’impératrice Eugénie et familier des Soirées de Compiègne. Pas de chance ! Son plan est d’une banalité affligeante. Deux mois plus tard, Charles Garnier un total inconnu dont on savait seulement qu’il était Grand Prix de Rome, l’emporte avec une très large majorité. Il est prévenu le 6 juin 1861 par une lettre officielle du Comte Walewski, ministre d’Etat et président du jury.
*Viollet-le-Duc semblait être le grand favori par ses travaux, sa position à la cour, l’amitié que lui témoignait l’impératrice Eugénie. Mais son projet, sans grande originalité, manquait de la connaissance technique du théâtre notamment dans l’aménagement de la scène, qu’il traita comme un espace cubique laissé vide, sans dégagements ni projets de machinerie.
Le style, quel style ? Mais c’est du Napoléon III !
Peu de temps après le concours, M. de Cardaillac, directeur des Bâtiments civils, fit part à Garnier du désir de l’Empereur de voir ses plans. Il arriva aux Tuileries très ému et mal à l’aise. L’Empereur l’accueillit sans façon. Dès que les plans furent dépliés, il dit aussitôt : “c’est bien, c’est beau, c’est très beau !” Mais l’Impératrice, celle qui avait pris parti pour Viollet-le-Duc arriva sur ces entrefaites : “qu’est-ce que c’est que ce style lâ ? Ce n’est pas un style. Ce n’est ni du grec, ni du romain, les Anciens ne construisaient pas comme ça !” Garnier lui le timide riposta d’un ton sec “Ils n’allaient pas non plus en chemin de fer”. A ce moment, Napoléon III glissa à l’oreille de Garnier : “ne vous tourmentez pas, elle n’y entend rien du tout ! “
J’ai été odieuse !
Six ans plus tard, l’architecte fut invité à Compiègne. “Avouez, lui dit Eugénie, que j’ai été désagréable pour vous, M. Garnier, quand vous êtes venu nous montrer vos premiers plans, je le regrette maintenant”. “Madame, vous avez été odieuse” lui répondit Garnier au milieu des rires.


Côté rampe de l’Empereur : pavillon semi-circulaires donnant sur la rue Auber. Il a été conçu pour accueillir l’empereur. Une double rampe aurait permis aux souverains de descendre de voiture loin de la foule. Il n’a été achevé qu’après la chute du second empire. Les façades latérales sont entourées d’une balustrade surmontée de huit colonnes monumentales ornées d’éperons de navires et de vingt-deux statues lampadaires. Photo © François Collombet
Charles Garnier cet inconnu !
Charles Garnier est d’origine très modeste. Né le 6 novembre 1825 dans une vieille maison de la rue Mouffetard (qui est devenue le 46 de l’avenue des Gobelins), il est le fils d’André Garnier, ouvrier forgeron qui s’enrichira en devenant carrossier et d’une dentellière. Son meilleur ami Jean-Baptiste Carpeaux rendit ses traits comme personne. Charles Garnier, lui avait passé commande d’un groupe en marbre pour orner la façade de l’Opéra. Carpeaux voulut faire son portrait, dès 1865, mais c’est en 1869 que Garnier posa pour lui. Il s’agit d’un buste à la française, plein de sensibilité et de vie : « une forêt de cheveux crépus, un long profil anguleux au nez cassé, des yeux bleus candides qui lui donnaient une tête de rêveur sur un grand corps dégingandé ».

Carpeaux et sa “Danse” à scandale !
Carpeaux fut sollicité par Garnier ainsi que trois autres sculpteurs (tous Prix de Rome) pour la réalisation chacun d’un groupe de personnages destinés à orner la façade du nouvel Opéra. Jean-Baptiste Carpeaux (1827-1875) créa celui de la Danse. Sa présentation au public le 25 juillet 1869 fit scandale. Sa Danse est jugée indécente, obscène, contraire aux bonnes mœurs (les danseuses de Carpeaux sont qualifiées de « ménades ivres » dans le journal Le Siècle du 13 août 1869). Son œuvre est souillée, dans la nuit du 26 au 27 août, avec le jet d’une bouteille d’encre. Garnier, qui était à Saint Jean-de-Luz, reçoit cette dépêche : ” Groupe dégradé par malveillance, indignation générale – Lettre demain. Carpeaux “.
L’arrivée des Prussiens de Bismarck sauve “La Danse”
Carpeaux resta intransigeant, pas de voile pour cacher le scandale. Refus devant le Sénat, la Chambre des députés, le ministre des Beaux-arts ni même devant l’insistance de Napoléon III. Pas question d’enlever son œuvre, ni de la modifier, ni même de la déplacer (elle aurait pu être à la place de l’actuelle Pythie sous la voûte de l’escalier de marbre). Mais tout fut réglé à l’arrivée des prussiens en 1870. On ne reparlera de Carpeaux que six ans plus tard quand on apprendra sa mort, en 1875. Un hommage tardif lui est rendu avec des brassées de fleurs au pied du groupe de La Danse universellement reconnu comme un chef-d’œuvre.

“cathédrale mondaine de la civilisation” comme le qualifiera Théophile Gautier
Le chantier débute en 1861, Charles Garnier à 36 ans. Il se terminera sous la troisième République lors de son inauguration officielle le 5 janvier 1875. Mais son commanditaire, l’empereur, Napoléon III n’y mettra jamais les pieds. L’inauguration a lieu 5 ans après son exil et 2 ans après sa mort en Angleterre. L’emplacement attribué à Garnier pour le futur Palais est choisi par le préfet Haussmann. Le chantier s’annonce difficile : la surface est en losange dissymétrique, le terrain instable car les nappes phréatiques y sont profondes. Garnier va superviser à la fois la conception architecturale et tous les aspects iconographiques et décoratifs : peintures, sculptures, frises, mosaïques… Il passe de nombreuses commandes à ses camarades des Beaux-Arts : Jean-Baptiste Carpeaux, Paul Baudry (peinture du grand foyer), Jules Lenepveu (plafond de la salle).

Le “lac”, non ! Plutôt une nappe d’eau souterraine
Les travaux de terrassement commencent en août 1861 après expropriation et déblaiement du terrain. On découvre alors une nappe d’eau souterraine, le fameux « lac » qu’il faut assécher avec des pompes à vapeur, actionnées nuit et jour pendant un an. L’opération consiste à expulser les eaux du sous-sol pour y faire pénétrer et consolider les fondations. De toute évidence, il est impossible de naviguer dessus, comme le prétendra le fantôme de Gaston Leroux. En fait, pour palier à ce terrain marécageux, Charles Garnier dut aménager une immense réserve d’eau résultant de la construction d’un radier (sorte de double fond) qui empêchait les remontées d’eau. Aurait-il pu imaginer que ce lac aux eaux mystérieuses où Erick, le spectre de Gaston Leroux emportait ses proies, serait envahi par d’énormes rats lors des inondations de 1910, semant la terreur dans tout le palais ?
Fantasmes et fantômes de l’Opéra Garnier
Que de fantasmes autour de ce lac souterrain qui apparaît dans le roman de Gaston Leroux “le Fantôme de l’Opéra” publié en 1910 ! Une vulgaire citerne, une cuve ? Un peu plus cependant mais bien loin du lac aux eaux de plomb qui se perdaient au loin, dans le noir et que décrit la jeune cantatrice Christine Daaé, orpheline et dont le Fantôme de l’Opéra tomba follement amoureux. Oui c’est un spectre au visage monstrueux, qui erre dans le palais. Christine Daaé confie qu’une voix l’appelle la nuit. Cette voix est celle du fameux fantôme de l’opéra. Amoureux de Christine, il l’enlève et l’emporte dans sa demeure au sein des souterrains du palais. Alors, qui aurait pu la retrouver dans cet opéra de plus de 11 000 m2 de surface doté d’un véritable labyrinthe de17 km de couloirs, allant des combles aux sous-sols ?

Le Fantôme de l’Opéra. Ce roman de Gaston Leroux publié en 1910 reprend une légende. Elle prétend que lors de l’incendie de 1873 qui détruisit le conservatoire de la rue Le Peletier (proche de l’Opéra), un jeune pianiste, Ernest* eut la vie sauve mais son visage fut en partie brûlé. Sa fiancée, ballerine au conservatoire, perdit la vie. Inconsolable, Ernest se réfugia dans les souterrains de l’Opéra Garnier. Il va alors se consacrer à la composition d’une œuvre dédiée à sa bien-aimée, se nourrissant de poissons pêchés dans le lac. On ne le reverra plus. Néanmoins, on raconte que le fantôme d’Ernest continue de hanter l’opéra. Machinistes, comédiens et régisseurs sont témoins d’étranges phénomènes voire de morts suspectes : le son du piano qui résonne la nuit, des partitions corrigées par une main inconnue, des voix dans la loge numéro 5, un machiniste retrouvé pendu… Ernest y resta jusqu’à sa mort. Cependant, son cadavre ne fut jamais retrouvé. A nul doute, c’est le fantôme de l’Opéra.
*Dans l’œuvre de Gaston Leroux, le fantôme de l’opéra c’est Erik. Dans la légende qui s’est forgée au XIXe siècle, le fantôme s’appelle Ernest.
Le voici ce “lac” tel qu’on peut l’entrapercevoir aujourd’hui
Ce lac fut en réalité un élément du « grand secours » pour lutter contre les incendies très courants à cette époque. Incendie ! Un danger permanent pris très au sérieux car dès 1881, les 340 becs de gaz du grand lustre du théâtre sont remplacés par des ampoules électriques. L’Opéra Garnier est l’un des premiers édifices parisiens à bénéficier d’une installation électrique complète.

Le 21 juillet 1862, la première pierre est posée. De son agence sur le chantier, petite bâtisse blanche à un étage, il surveillera pendant 14 ans la marche des travaux jusqu’à modifier la hauteur de l’édifice quand il apprendra que les immeubles alentour grandissent d’un étage.

La Pythie de Marcello
Après avoir franchi la Rotonde des Abonnés, le bassin de la Pythie conduit au grand escalier et à la somptueuse nef de 30 m de hauteur. Mais arrêtons-nous devant cette très sensuelle Pythie abritée dans une sorte de grotte au pied du grand escalier : “c’est en voyant un jour, au musée de Cluny, une petite voûte toute couverte de feuillages, que l’idée me vint d’agrémenter les dessous des rampants de l’escalier par une profusion de légers ornements, se répandant sur toute la surface des voûtes….” écrit Charles Garnier. Il fait l’acquisition de cette Pythie en bronze, oracle du temple d’Apollon à Delphes, au salon de 1870. Son auteur, Marcello, est en réalité une femme, Adèle d’Affry, duchesse de Castiglione. Elle est veuve à 20 ans et riche*. Sa vie artistique se tourna vers la sculpture où elle fut vite démasquée en tant que femme.
*Faut-il croire la rumeur qui prétend que la mère du grand sculpteur et ami de Charles Garnier, Jean-Baptiste Carpeaux lui proposa d’épouser son fils. En réalité Carpeaux se maria en 1869 avec Amélie de Montfort.

En bas du grand escalier, véritable théâtre dans le théâtre, deux allégories féminines tenant des bouquets de lumière, accueillent les spectateurs.



Le Grand Escalier, théâtre dans le théâtre
Avec sa triple volée de marches, il est conçu comme un théâtre dans le théâtre. Si aujourd’hui, ce spectaculaire escalier de marbre d’un baroque typiquement Napoléon III, dont la cage est aussi haute que la façade, est occupé par les touristes, imaginons un autre monde, une autre époque ! Combien de films d’archives montrent ce grand escalier où, entre deux haies de gardes républicains en grande tenue, la République exhibait ses présidents gravissant les degrés aux côtés des grands de ce monde ? Imaginons aussi cet escalier à l’entracte qui redevient le centre vital du théâtre avec les spectateurs qui s’y retrouvent, s’y regroupent, le gravissent, le redescendent. Car ici, chacun peut s’observer depuis les balcons disposés comme des loges ou être vu depuis les marches transformées en véritable scène. Mais le but de cet escalier est aussi de mener les spectateurs à l’amphithéâtre, au parterre, à l’orchestre, aux baignoires et ses balcons.


Bibliothèque dédiée à l’art lyrique et à l’histoire de l’Opéra
Avant de pénétrer dans le grand foyer, laissons-nous le temps de faire une halte dans cette importante bibliothèque dédiée à l’art lyrique et à l’histoire de l’Opéra. Le lieu accueille également un musée rattaché à la Bibliothèque nationale de France en 1935. Cette Bibliothèque-musée de l’Opéra conserve et expose ses collections de partitions, de manuscrits, de peintures, sculptures et photographies mais aussi de maquettes de décors et de costumes utilisés lors de représentations à l’Opéra Garnier et à l’Opéra-Comique.


Le grand foyer digne de Versailles
Cette immense galerie rappelle le Château de Versailles. Elle est aussi à l’image des salles de fête des palais italiens. Son architecte Charles Garnier dut se battre pour ne pas modifier ses dimensions. Pour lui, le principe d’une salle élevée attire la vue vers le haut, une impression réhaussée par un plafond central peint qui continue l’architecture et dont les lignes décoratives allongent la voûte. Au plafond, des scènes mythologiques avec la représentation des thèmes de l’histoire de la musique. Au centre, un grand caisson consacré à la musique, encadrée par deux plafonds ovales représentant l’un la comédie et l’autre la tragédie. Voir également les têtes dorées de Charles Garnier et de sa femme sous les traits de Mercure et d’Amphitrite à la clef des grands arcs qui précèdent les salons d’angle.


Le Foyer de la danse où danseuses et danseurs viennent se chauffer

Le Foyer de la danse est une grande et prestigieuse salle dans le prolongement de la scène. Elle foisonne de dorures et d’ornements baroques. C’est là où les danseurs(ses) se chauffent les soirs de spectacle devant l’immense glace de Saint-Gobain (le reflet n’est que celui des visiteurs) qui orne le mur du fond. Le plancher a la même pente que celui de la scène, donc même conditions d’équilibre. Fantasme oblige ! Ce foyer dans les traditions de l’Opéra était un salon réservé à l’origine aux abonnés et aux danseuses. L’ombre de messieurs à gibus pas seulement séduits par l’art de la danse planerait elle encore sur ces lieux !
La salle de spectacle en forme de fer à cheval “à la française”
Cette salle à l’italienne avec ses quatre balcons, ses loges*, ses stalles sur cinq niveaux et ses mille neuf cents fauteuils, mesure 20 m de hauteur et 32 m de profondeur. Chaque étage est composé de plusieurs loges accueillant jusqu’à 6 personnes, sauf le dernier étage, appelé « le poulailler » qui permettait, aux étudiants et à ceux qui n’avaient pas de gros moyens, d’assister aux représentations. Tout ici est dans les tons ocre, rouge et d’or avec un incroyable éclairage venu de l’immense lustre dessiné par Garnier. Il pèse plus de 6 tonnes. Il est fait de bronze et de cristal. Il fut installé et réglé en 1874 avec 340 becs fonctionnant au gaz d’éclairage mais électrifié en 1881. Il porte 320 ampoules électriques nichées pour la plupart dans des globes en opaline. Sa forme reprend celle que l’architecte Louis avait adoptée pour l’Opéra de la rue Le Peletier.
*La loge la plus célèbre et la plus mystérieuse de l’Opéra Garnier est la loge n°5. Une plaque, sur sa porte d’entrée indique « Loge du Fantôme de l’Opéra ».

Cette scène semble immense : 60 m de hauteur, dont 45 m de cintres* au-dessus et 15 m en dessous, 27 m de profondeur, 48,5 m de largeur pour 16 m d’ouverture de cadre. Son sol est incliné, ce qui améliore la visibilité des spectateurs et augmente l’impression de profondeur.
*Les cintres, d’une hauteur de 45 m, sont l’espace au-dessus de la scène qui permet d’escamoter certains décors et de remonter le rideau.
Quand Chagall révolutionne l’Opéra Garnier

C’est sans doute la modernisation la plus marquante depuis la création de l’Opéra Garnier : le changement de plafond de la salle de spectacle. Il avait été peint par Jules Lenepveu sur une calotte de cuivre de 24 segments, sur le thème des« Heures du jour et de la nuit ». En 1962, André Malraux commande à Marc Chagall un nouveau plafond pour l’Opéra. Dès janvier 1963, à la Manufacture des Gobelins, la petite équipe de peintres, sous les ordres de Chagall s’attèlent à la réalisation des vingt-quatre toiles monumentales.
Le plafond de Lenepveu resté intact
Fixées sur des panneaux de résine de polyester amovibles, elles composent le nouveau plafond qui vient camoufler sans l’abîmer l’œuvre de Lenepveu*. La musique dans l’œuvre de Chagall a toujours joué un rôle essentiel. Ainsi, sur les vingt-quatre triangles narratifs et colorés, vont cohabiter dans cinq zones : en bleu : Mozart et Moussorgski ; en vert : Berlioz, Wagner ; en blanc : Rameau, Debussy ; en rouge : Ravel, Stravinsky ; en jaune : Adam, Tchaïkovski. Mais aussi des scènes tirées de la Flûte enchantée, du Lac des cygnes, de Giselle, Roméo et Juliette. Un petit plafond central est peint par Chagall à Vence. Il remplace une partie grillagée que Lenepveu n’avait pas peinte et qui servait de cheminée d’aération des gaz du lustre.
*En 2023, une polémique lancée par les ayant droits du peintre. Ils réclament que la fresque originale soit à nouveau visible.

“j’offre ce travail en don, en reconnaissance à la France et à son Ecole de Paris“
Le plafond est dévoilé au public le 23 septembre 1964. Chagall déclare : « … J’ai pensé à l’ensemble de l’Opéra. J’ai profondément ressenti le génie de l’architecture de Garnier, de la sculpture géniale de Carpeaux. J’ai voulu, en haut – tel dans un miroir – refléter en un bouquet les rêves, les créations des acteurs, des musiciens ; me souvenir qu’en bas s’agitent les couleurs des habits des spectateurs. Chanter comme un oiseau, sans théorie, ni méthode … J’ai travaillé de tout mon cœur et j’offre ce travail en don, en reconnaissance à la France et à son Ecole de Paris sans lesquelles il n’y aurait ni couleur ni liberté ».
Soirée dramatique à l’Opéra : quand le ciel s’abat sur le fauteuil 13

Une détonation tel un coup de canon
On est le soir du 20 mai 1896. Rose Caron, l’Egérie de Clémenceau, chante le premier acte d’Hellé (opéra d’Etienne Joseph Floquet). Soudain une formidable détonation tel un coup de canon ébranle la salle. Les spectateurs de l’orchestre, pétrifiés, regardent en l’air sans bouger tandis que le public de l’amphithéâtre fuient en tous sens, certains, retenus par leurs voisins, tentant dans un réflexe d’enjamber le rebord des quatrièmes loges. A ce moment, la panique semble générale accentuée par la vision d’une lueur inquiétante. N’est-ce pas l’explosion d’une machine infernale ? La réalité est pourtant tout autre. En cause, le fameux lustre. Il est retenu par huit gros câbles en acier, plusieurs treuils et contrepoids. C’est l’un d’eux de 750 kg qui a cédé. De tout son poids il traverse le plafond, puis le plancher des cinquièmes loges heureusement vides pour aller s’écraser sur les places 11 et 13 des quatrièmes loges.
La victime du fauteuil 13
Une dame très modeste, passionnée d’opéra, Claudine Chaumeil, concierge au 7, rue Rochechouart meurt sur le coup, son corps enfoncé sur le fauteuil portant le numéro 13. Quant au lustre (6 tonnes) heureusement, il n’a pas bougé. De nombreux blessés mais dus au mouvement de panique. Ce drame inspira évidemment Gaston Leroux pour un épisode du Fantôme de l’Opéra, publié en 1910. On évoque aussi cet accident dans le ballet du même nom de Marcel Landowski créé avec une chorégraphie de Roland Petit. Mais pour Charles Garnier, ce 20 mai 1896 est ressenti comme une frayeur rétrospective. Il devait mourir deux ans plus tard.
L’Opéra Garnier, de fond en comble
Pour gagner les combles ou les sous-sols, encore faut-il longer notamment le fameux couloir des 100 m jalonné des loges, grimper nombre d’escaliers étroits, se tasser dans les ascenseurs et atteindre enfin le quatrième étage et son très célèbre atelier de couture. Y travaillent tailleurs, couturières, lingères exécutant costumes et coiffures. Une véritable ruche où se fabriquent, s’ajustent les costumes des nouveaux spectacles.
Les cinq ateliers au service des costumes et des artistes
Bon à savoir ! Pour les ateliers couture “flou” c’est la couture au féminin et “Le tailleur” pour la couture au masculin. Puis il y a “la modiste” pour les chapeaux, “la maille” pour les justaucorps. Pour “la décoration”, c’est un atelier spécial où se fabriquent bijoux, couronnes de fleurs, coiffures, masques et tout ce qui concerne la teinture des tissus et des chaussons de danse. Ici, en période d’activité dense (!), plus de 75 spécialistes, dont 33 salariés fixes, travaillent ici. Pour chaque nouveau spectacle, 4 à 6 mois de travail sont nécessaires.



Une plongée au plus profond de l’Opéra Garnier, dans la salle des Cabestans à l’esprit marine !
On est à 15 m sous la scène, tout près du grillage métallique protégeant l’ouverture du légendaire « lac ». De ce qui fut décrit par Gaston Leroux comme une grange batelière jusqu’à la salle des Cabestans, n’y aurait-il qu’une bonne dizaine de brasses ? Tout ici ressemble à l’univers de la marine : ces gigantesques roues en bois, ces cordages, ces poulies, ces cabestans. Pour manipuler ce système qui servait autrefois à monter et à descendre les toiles peintes des décors depuis le cinquième sous-sol, qui mieux que des matelots pour s’en charger. Ils disposaient de la force et de l’agilité nécessaires à la manœuvre des machines. L’Opéra avait pris l’habitude de les embaucher entre deux voyages lors de leur passage à Paris. (Aujourd’hui, tout est électrifié).


Ecoutez ces voix d’autrefois ! Seraient-elles les véritables fantômes de l’Opéra Garnier ?
Quelque part dans le palais existait une porte blindée dont l’unique clé avait été confiée es-qualités au ministre de l’Education nationale avec une inscription : « Don d’Alfred Clark. 28 juin 1907. Gramophone ». Là, dans un caveau, furent enfermées les voix qui se sont tues. En 1907, la Société du Gramophone, que dirigeait Alfred Clark, pensa qu’il serait intéressant dans une centaine d’années de pouvoir entendre les enregistrements des principaux chanteurs qui se succédaient alors sur sa scène.
Un siècle d’enfermement pour ces disques de cire
Deux douzaines de disques furent ainsi gravés. On enferma précieusement ces disques dans deux urnes en plomb et l’on souda le couvercle après avoir fait le vide de façon à interdire la pénétration de l’air. Quelques années plus tard, le 13 juin 1912, avec les mêmes précautions, trente-deux disques supplémentaires, dont certains consacrés à des pianistes ou instrumentistes virtuoses (Paderewski, Kreisler), furent ajoutés aux premiers dans deux nouvelles urnes ainsi qu’un appareil gramophone, un diaphragme et une boîte d’aiguilles.

Ces voix du passé
Ouvertes en 2007, cent ans après leur dépôt, ces urnes laissent échapper les voix oubliées des grands chanteurs lyriques de l’époque…Des voix sorties du passé. Les disques extraits se révèlent dans un état exceptionnel. Certains contiennent des enregistrements de grandes vedettes lyriques… On y entend des airs d’opéra de Gounod, de Massenet ou encore un rare extrait de Beethoven. Grâce aux techniques de lecture analogique et numérique, ces sons ont été sauvegardés et peuvent à nouveau résonner plus d’un siècle après leur enregistrement.
1875, inauguration en grande pompe de l’Opéra. Quand l’architecte doit acheter sa place !

Au bras de sa femme, il est ovationné en descendant “son” grand escalier
5 janvier 1875. Inauguration en grande pompe de l’Opéra. Elle se fait sous la présidence de Mac Mahon (IIIe République). 2O00 invités. Parmi eux, le roi d’Espagne et sa famille, les maires de Londres, d’Amsterdam… Mais, serait-ce un oubli ? Charles Garnier, celui qui fut si longtemps le maître des lieux n’est pas sur la liste des invités. Humilié, il se résout à acquitter sa place (une place reléguée aux secondes loges). Comme il le rappelle dans ses mémoires, M. de Cumont, ministre des Beaux-Arts lui fait payer son lien avec le Second Empire. Mais quelle satisfaction ! A la sortie du spectacle, descendant le grand escalier au bras de sa femme, il se fait ovationner par la foule. Sa place sera remboursée et dès le mois de mai, il est promu officier de la Légion d’honneur.
Rideau tiré !
Après l’Opéra, son œuvre grandiose, rien ! Aucune commande importante. Sans doute pensait-il qu’il devait effrayer des clients éventuels par sa démesure. A son actif, quelques villas pour des amis. Sa seule autre œuvre importante fut l’opéra de Monte-Carlo.
L’Opéra Garnier, une œuvre devenue universelle
Son héritage à travers le monde

L’empreinte de l’Opéra Garnier dans le monde
Charles Garnier peut se prévaloir d’avoir eu à son époque (et après) une influence majeure dans le monde des opéras. Voyons tous ces théâtres où le souffle de Garnier fut un moteur de création. Ainsi, Amazonas de Manaus, au Brésil, le projet initial du Théâtre Colón de Buenos Aires, le Théâtre Juliusz-Slowacki de Cracovie, en Pologne, l’Opéra de Lyiv, en Ukraine, ou l’Opéra de Hanoï, au Vietnam. Et même l’œuvre de Jørn Utzon à Sydney. Il s’est inspiré de l’opéra Garnier de Paris, notamment pour comprendre les ingrédients nécessaires à un grand opéra. Le grand escalier, les foyers, les dispositions des scènes, des loges, etc. qu’il réarrange de manière inédite en raison de la configuration particulière du site de Sydney.

Jean-Jacques Serres, un guide hors pair
