C’est sans doute l’endroit le plus reculé, le plus impressionnant mais aussi le plus mystérieux du Mexique : un pic volcanique qui se dresse à plus de 4000 m au-dessus du Pacifique, à 3 heures à peine des plages et des mangroves. C’est le Tacana, Coloso de fuego de l’Amérique centrale. A ses pieds, au cœur de la selva, caféiers et cacaoyers produisent les meilleurs chocolats et les meilleurs cafés du monde. Son ascension est un hommage à la culture Maya. C’est aussi la possibilité de croiser des quetzals, des tapirs, des toucans, des paons… Dans cette biosphère exceptionnellement préservée vivent 325 espèces d’oiseaux, dont beaucoup sont endémiques.

Tacana (Chiapas), dimanche 25 février 2018. Ça y est, on y est ! On est sur le Tacana, le toit de l’Amérique centrale, la montagne vénérée des mayas. Atteindre son sommet à plus de 4000 mètres, est selon la cosmogonie maya, sortir des enfers. C’est la raison pour laquelle, ce colosse (le Phare du sud pour les marins mexicains qui le voient à des milles nautiques de la côte du Soconusco) est aussi appelé Casa del fuego. Le Tacana est en effet l’un des volcans les plus actifs de la Sierra Madre du Chiapas* dont la dernière éruption date de 1986. Plus bas, sur le flanc ouest du volcan, à environ 2000 m d’altitude, au cœur de la salva, le village d’Agua Caliente est connu pour ses sources thermales, ses cascades d’eau à 40° et ses ruisseaux aux eaux couleur orange vif (à cause de l’hydroxyde de fer). Mais il s’agit là d’une autre course. Elle prend 3 heures et 10 km d’une route tortueuse et escarpée.
* Son point culminant est le Tajumulco, au Guatemala, qui s’élève à 4 220 m d’altitude.

Tacnahuyú en langue Mam
Hier, à flanc de montagne, nous faisions une halte bienvenue dans le village Guatémaltèque de Tonala (affecté par un très fort tremblement de terre en septembre 2017) ; la seule occasion avant le sommet de s’offrir quelques Gallos bien fraîches, à 10 quetzals la bouteille. La population d’origine maya parle encore le Mam et en Mam, Tacana vient de Tacnahuyú ou Tacnajuyú soit Colline de la Maison de feu. Enfin, autre particularité, le sommet du Tacana se situe sur la ligne démarcation qui sépare le Guatemala du Mexique depuis le traité de 1882.


Il fait – 4°, on marche depuis 4 heures du matin

Quelques rochers encore à gravir pour se hisser jusqu’à la pointe de ferraille qui symbolise le sommet du volcan. Il est à peine 7 h. L’air est glacial. Il fait -4° On marche depuis 4 heures du matin. Incroyable, ces 500 derniers mètres faits de montées à pic, de sentiers tortueux qu’éclairent à peine nos lampes frontales. Un paysage fantasmagorique, forêt de pins engluée dans la brume, tout est blanc, glissant, un silence impressionnant jusqu’au dernier cratère, une vaste étendue plate où nous accueillent les premières lueurs du soleil. Est-ce le Guatemala, le Mexique ? Un alignement de bornes blanches sert à démarquer les 2 pays (la linea). Et cette bouteille de Champagne qui devait sceller nos familles franco-mexicaines (un extra brut) ! Oubliée au bivouac. Alors, on se contente d’un mauvais brandy (mais bien plus réconfortant) acheté à l’abarrotes d’Union Juarez.

Des gamins épuisés
Se plaindre d’une ascension trop raide ! Futile face à cette ribambelle de gamins guatémaltèques (15-16 ans), croisés, épuisés tout au long de la montée. Certains en hypothermie et pour lesquels nos barres de céréales et nos couvertures de survie ont au moins servie à quelque chose. Ils sont en marche depuis 48 h avec 100 km dans les jambes, abandonnés au pied du volcan par un pasteur évangéliste inconscient. Les plus solides sont déjà en haut serrés les uns contre les autres sous une couverture à l’épaisseur d’une feuille de cigarette.

Un incroyable panorama sur toute la chaîne des volcans actifs du Guatemala
Du sommet, le panorama est époustouflant mais trop masqué ce matin-là par une légère brume. Alors quelle satisfaction de l’apercevoir par fulgurance quand le soleil matinal nous dégage un peu la vue. Dommage, c’est toute la chaîne des volcans de la Sierra Madre du Chiapas dominant la plaine côtière du Pacifique qui s’offrirait à nous : le Santa Maria (3772 m), l’Acatenango (3976 m) et plus loin encore, l’eau et le feu, le Fuego (3763 m)* situé aux environs de l’ancienne capitale Antigua du Guatemala et enfin, l’Agua (3760 m). Au sud-ouest devrait aussi nous apparaître la ville de Tapachula, capitale de la province du Soconusco jusqu’aux plages et aux magnifiques mangroves du Pacifique.
*En juin 2018, le volcan Fuego est entré en éruption, provoquant de nombreuses coulées de lave et un immense nuage de cendres dans le sud du Guatemala. On recense plus de 200 personnes disparues (100 corps ont été identifiés). Le volcan Fuego est situé à 35 km au sud-ouest de Guatemala City.

De la selva aux alpages
Mais quel contraste ! 48 heures plus tôt, nous arrivions en Taxi (400 pesos en négociant) de Tapachula à Unión Juárez (appelée aussi la Suisse du Chiapas), point de départ de l’ascension du Tacana, au sein de la fameuse Réserve de biosphère classée en 2003 par l’Unesco. La Selva, forêt tropicale (jungle) humide et très dense qui règne sur les pentes verdoyantes du Tacana est devenue l’un de des derniers refuges au Mexique du somptueux et mythique quetzal (oiseau emblème du Guatemala qui a donné son nom à la monnaie, le quetzal). Mais cette selva, l’une des plus riches d’Amérique centrale est aujourd’hui victime d’une déforestation dévastatrice. Si les cacaoyers natifs (criollo) sont encore bien présents à l’ombre des grands arbres*, les caféiers sur des milliers d’hectares ont souvent supplanté des essences rares et que dire des palmiers à huile, une calamité écologique et humaine !
*Dans cette ancienne province aztèque du Xoconocho (Soconusco), le village de Cacahatan, au pied du volcan signifie en nahualt, Lieu du cacao.

Bivouac au Plan de los Ardillas

La veille, de Talquián au Plan de los Ardillas où nous devons passer la nuit, quel ne fut pas le meilleur entraînement que de se faire les jambes sur ce parcours : 5 heures pour franchir 2000 m de dénivelé (de 1667 à 3672 m) avec des pentes de 30 à 60 % (dur, dur, dur !) ; une végétation de feuillus, de conifères et de surprenants alpages. Arrivé au bivouac, le fameux Plan de los Ardillas (les écureuils), la pluie redouble, juste le temps de s’abriter sous une frêle toiture de tôles aux poutres couvertes de graffitis. Roméo, le guide nous rassure : à minuit vous verrez l’un des plus beaux ciels étoilés du monde et demain, tout sera blanc. Les mules sont arrivées avec tentes et cuisine. Le froid est tombé. On se réchauffe au feu de bois, on avale difficilement une soupe au poulet, on résiste tant bien que mal à la veillée avant de se glisser dans un sommeil qui ne vient pas. Mais demain, c’est le grand jour : alcanzando cumbres para conquistar sueños.



La promesse faite à Romeo

Cette ascension est l’accomplissement d’une promesse. Tout a commencé ici, au pied du Tacana 7 ans plus tôt avec le jeune Romeo, 17 ans cheveux longs, catogan, lycéen oisif, accro au pétard (porro)…et infiniment sympathique. C’était tout bonnement le guide disponible ce jour-là que nous proposait la Cooperativa de guías Casa de Fuego d’Union Juarez. J’étais avec 2 de mes filles, la plus jeune, 9 ans et l’aînée qui vivait à plus de 300 km de là, à San Cristobal de La Casas. Il nous regarda de toute son expérience (on apprit plus tard qu’à l’insu de sa famille il avait accompli sa première ascension du Tacana à 11 ans), examina notre équipement : non décidemment l’ascension n’était faite pas pour nous. Un café chez sa mère, une machette empruntée à son oncle et nous voilà parti pour les cascades de Muxbal et de Monteperla. Sur le chemin, avec un certain détachement, il nous indiqua le lieu précis du massacre d’une dizaine de narcos (ou bien trafiquants) qui furent balancés au-dessus du précipice. Au pied du Pico de Loro avec son incroyable vue sur le Tacaná et le Tajumulco, on se quitta avec la promesse de se revoir. Mais Romeo, tête en l’air avait oublié la machette du tonton tout en haut du pic. Le contact ne fut jamais perdu. C’est aujourd’hui un jeune homme de 25 ans père d’une petite fille et l’un des guides les plus accomplis du Mexique. Sa société est prospère. Il a installé sa mère à la tête d’un des plus beaux restaurants d’Union Juarez. Et comble d’ironie, étant sur une autre course à l’autre bout du Mexique, il délégua son père, Romeo pour le remplacer.
Le chocolat en son jardin d’Eden
Cette année-là, nous venions d’accomplir un incroyable périple dans le Soconusco en quête du cacao, des pans du Tacana aux hautes mangroves de La Encrucijada sur les rivages de l’océan Pacifique. N’est-ce pas là une sorte de jardin d’Eden où les graines de cacaoyers natifs poussent deux fois plus vite que la normale (sur les îles de La Palma et d’El Campon). Nous étions partis avec les planteurs à la découverte des cacaoyers, ces variétés de criollos et de pataxte (toujours cultivées depuis les Mokayas, les Olmèques puis les Mayas) qui poussaient il y a déjà 4000 ans le long du fleuve Suchiate, à la frontière du Guatemala ; un cacao à la pulpe étonnement fraîche et poisseuse autour de ses graines blanches ou rosés et dont les cabosses vont du vert jade au rouge sang.

Izapa, site mixe-zoque sur la route du Tacana

Nous avions erré dans un Izapa désert aux premières pluies torrentielles de la saison affolant des milliers d’oiseaux. Ce site encore si mystérieux est niché au cœur des plantations de cacao. Son origine est mixe-zoque, civilisation faisant le lien entre deux des plus grandes cultures de la Mésoamérique : les Olmèques et les Mayas. On la situe 800 ans avant et 50 après J.-C.
Incroyable ! Tout à Izapa est sous le signe du chocolat. Le glyphe maya du cacao qu’on y voit, selon le Popol Vuh*est représenté sous la forme de deux poissons jumeaux accréditant l’ancienneté de l’usage cérémoniel et social du cacao. Plus troublant encore, on y repère aussi le glyphe d’un poisson chat se lisant Kakawa soit cacao et plus loin, la représentation d’une cabosse à peine visible à cause de l’érosion. Grâce à l’analyse des résidus de théobromine de vases mokayas en terre cuite trouvés au sud d’Izapa, il est possible de dater la consommation de breuvages à base de cacao dès 1900-1500 avant notre ère (à l’aube donc de la civilisation).
* Création du monde racontée par le Popol Vuh des Mayas-Quiches.

Du chocolat oui mais le meilleur du monde
Au bout d’une piste à peine carrossable, à 44 km de Tapachula, voici enfin la récompense attendue, la célèbre chocoleria San José (Ejido Aquiles Serdan à Mazatan) où nous transporte Raúl dans son pick-up de la CASFA* gérant la Red Maya de Organizaciones Orgànicas, la plus ancienne et la plus réputée coopérative bio du Soconusco. Elle regroupe 119 petits producteurs de cacao avec le label bio. Ils cultivent l’antique cacao Criollo qui est considérée comme l’un des meilleurs chocolats du monde en raison de la très grande finesse de ses arômes. Pour nous, c’est l’occasion rêvée de goûter à leur chocolat en tablettes et au fameux tamal version sucrée, à la farine de riz, fourré d’amandes, de chocolat, de pâtes de maïs (masa), le tout pimenté (mais pas trop, à préciser !) et enveloppé d’une feuille de bananier (un délice !).
Le dernier mot reviendrait-il à Stéphane Bonnat maître chocolatier à Voiron : on considère le cacao Real de Soconusco comme le meilleur du monde. Il fut sans doute le tout premier cacao domestiqué par l’homme, les Mokayas**. Cette civilisation pré maya vivait alors sur les pans du Tacana vénérant le Casa del fuego que nous venions de gravir.
* CASFA (Centro de Agroecología San Francisco de Asís) à Tapachula dirigé par Jorge Aguilar Reyna
**Mokaya ou Peuple du maïs en langue mixe-zoque qu’ils parlaient sans doute.
Le Tacana pratique
Le Tacana se situe dans la province du Soconusco (Etat du Chiapas), à l’extrême sud-ouest du Mexique, à la frontière du Guatemala. Mexico City est à 876 km, Tuxtla Gutiérrez, capitale de l’État du Chiapas à 218 km.
Comment y aller ?
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L’auteur, Valentine Tibère, chocolatologue a été la première à redécouvrir, il y a plus 10 ans, la richesse exceptionnelle des cacaoyers du Soconusco. Plusieurs vols quotidiens relient Mexico à Tapachula en 1h56. La compagnie Volaris propose des vols à partir de 770 MXN (35€).
- Au départ de San Cristobal ou de Tuxla, les bus de la compagnie OCC assurent plusieurs liaisons quotidiennes.
- De Tapachula, par taxi jusqu’à Union Juarez. Comptez entre 350 et 550 MXN (entre 16 et 24€) selon la négo avec le chauffeur.
Où se loger ?
- A Tapachula : Hôtel San Francisco Calle Central Sur Oriente 94, Centro, 30700 Tapachula de Córdova y Ordoñez (Téléphone : +52 962 620 1000). Chambre pour 2 (y compris un petit déjeuner copieux) : 1200 MXN (52 €).
- A Union Juarez et Santo Domingo (au pied du volcan) : l’offre est très large. Beaucoup d’Airbnb proposent des cabañas (intéressant si vous êtes plusieurs). Les prix tournent autour de 350 MXN par personne (15€). Dans Union Juarez, 3 hôtels possibles (Morayma, Colonial Campestre et El Encanto).
- Hôtels de charme dans un cadre environnemental extraordinaire (voir plus bas, La Ruta del café)
L’ascension avec un guide (indispensable)
Le guide assurera la logistique de la montée sur les 2 jours (tentes et nourriture transportées par mules). Il assurera la sécurité du groupe.
UNION TRAVEL opère depuis 2010 à partir d’Union Juarez. Ses tarifs sont compétitifs et sans doute négociables selon la saison :
- 1 personne : 3000 MXN (130 €)
- 2 personnes : 2700 MXN (117 €)
- 3 à 5 personnes : 2500 MXN (108€)
- Jusqu’à 10 : 2350 MXN (102€)
Réservez auprès de Romeo Angel de Leon Ramirez. Tél : 962 211 50 65 (Il peut vous conseiller et réserver pour vous, cabañas et chambres d’hôtel).
Eviter Pâques et Noël
Pour ces 2 fêtes et surtout la Semaine-Sainte (Pâques), il semblerait que le Tacana réunisse tous les amateurs d’alpinisme et de randonnées en montagne venant du Mexique, du Guatemala, du Salvador… laissant derrière eux, une longue trainée de déchets (pas toujours ramassés par les autorités).
Pour l’ascension, tout ce qu’il faut savoir et emporter
Il faut savoir qu’on passe du très chaud au très froid ; que l’ascension est difficile donc qu’il faut être en très grande forme. Indispensable, de très bonnes chaussures de montagne. Tout l’équipement pour une course en montagne de 2 jours dont une nuit à 3500 m d’altitude. S’attendre à une température qui peut descendre jusqu’à -5° (sac à dos, sac de couchage, grosses chaussettes, gants, anorak à capuche, bonnet…).
La célèbre Ruta del café autour du Tacana
Le Soconusco et notamment les pans du Tacana produisent l’un des meilleurs cafés du monde. Pour découvrir les plantations, suivre les différents stades de production (réception du fruit, fermentation, lavage, séchage, stockage et classification), engagez-vous sur la célèbre Ruta del café. Voici les 5 plus beaux domaines (fincas) presque tous transformés en hôtels de charme dans un environnement de rêve :
- Irlanda
- Argovia http://www.argovia.com.mx
- Hamburgo fincahamburgo.com
- San Francisco
- La Chiripa.
Il existe aussi des dizaines de petits producteurs qui produisent leur café à partir d’arbres qui poussent quasiment à l’état sauvage. Résultat, un grand cru bio 100 % arabica bourbon, originaire des Antilles et dont la culture remonte au XVIIIe siècle.
