La Mayenne si discrète, si secrète ! Et pourtant, tant de trésors insoupçonnés ! L’art d’abord, le plus débordant, le plus excessif, le plus original, celui de Robert Tatin, ce contemporain qui installa son étrange musée, chez lui, à Cossé-le-Vivien. Ensuite, parmi tous les châteaux qui occupent ces terres vouées à l’élevage et à la forêt, pourquoi Bourgon-Montourtier ? Parce que c’est lui, parce que c’est eux. Un couple venu du nord. Il s’y est arrêté presque par accident : un château de rêve hanté par l’histoire, une cuisine délicieusement familiale, 3 chambres d’hôtes et autour, la nature à volonté. Enfin, troisième trésor, la basilique d’Evron avec en clôture, le festival Art Sacrés par le Concert Spirituel dans l’une des plus spectaculaires églises abbatiales de France, la basilique d’Evron. Au programme, les messes salzbourgeoises de Mozart. La lumière tombe. Le chœur flamboie dans une explosion de rouge. La magie des voix qui montent jusqu’au plus haut des voûtes… Merveilleux songe d’une nuit d’été !

La Mayenne si loin, si proche !
Qui pourrait dire exactement où se situe la Mayenne ? D’ailleurs, est-ce une région, un département ? Ferait-elle partie (avec la Sarthe) de cette ancienne province du Maine qui aurait donné son nom à l’Etat du Maine * à l’extrême nord-est des Etats-Unis?
Alors, ces quelques arpents de terre (5200 km2 ) nichés si discrètement entre Loire, Bretagne et Normandie, à quoi ressemblent-t-ils ? La Mayenne si loin, si proche mais dans un autre monde ! On est à 1h10 par TGV de Paris (gare Montparnasse). Descendre à Laval, surnommée la ville à la campagne, chef-lieu du département. Rendez-vous donc dans cette France rêvée où coule le lait (Lactalis son géant mondial a son siège social à Laval) et le cidre. Des paysages infiniment doux, des forêts profondes, des pâturages à perte de vue, des villages de cartes postales où pointent de solides églises faites de granit, de schiste, de grès ou de calcaire.
* La culture acadienne est encore très forte dans le Maine. On est à la frontière du Québec. Par la Constitution de 1983, le Maine est l’un des 20 États à ne pas avoir adopté l’anglais comme langue officielle. Alors pourquoi dans les brochures touristiques officielles de la Mayenne, tant de mots anglais (style : nos spots préférés, slowlidays Mayenne…) ?
Le pays aux mille châteaux
Et puis la Mayenne, c’est le pays aux mille châteaux. Les uns ont l’âme hospitalière, d’autres se hérissent en défense, d’autres encore s’offrent un petit air de Versailles ou bien au bord de l’eau, ces châteaux industrieux qui depuis des siècles font tourner leur moulin.
Et Dieu dans tout cela ! Il règne ici comme sur une grande paroisse avec d’innombrables abbayes (bénédictine, cistercienne), basiliques, séminaires, ermitages, calvaires, pèlerinages… la Vendée est si proche !

Mais essayons d’oublier les incontournables, Sainte-Suzanne, la vallée des grottes de Saulges, la richesse incomparable de Laval et son château. A ses pieds, la Mayenne qui du nord au sud, coupe le département en deux. En voici de bonnes idées : découvrir les spectaculaires écluses * et autres microcentrales hydroélectriques qui jalonnent son cours ; s’engager à pied ou à vélo sur les chemins de halage (autrefois les embarcations étaient tirées par des chevaux ou des hommes, ils remontaient le cours d’eau à la halée ). C’est aujourd’hui un chemin de 80 km, l’une des voies vertes réputées parmi les plus belles de France. Mais c’est autre voyage.
* En tout 37 écluses rythment la rivière entre Mayenne et Laval, et 8 entre Laval et le confluent de la Mayenne et de la Sarthe pour former la rivière la Maine.
Robert Tatin, l’archisculpteur des géants
D’abord, c’est un personnage hors du commun qui sut de toute sa force, de tout son talent faire exploser le cadre de son art. Il est assurément dans le panthéon mayennais aux côtés d’Ambroise Paré, Alain Gerbault, Henri Rousseau le Douanier, Alfred Jarry, le père d’Ubu, tous comme lui nés à Laval. Robert Tatin nous laisse son musée et sa maison à Cossé-le-Vivien. C’est un contemporain (mort en 1983). Il nous lègue une œuvre monumentale, un musée extraordinaire où tout paraît gigantesque, à l’image de cet homme qui côtoya Giacometti, Dubuffet, Caillaud, Prévert, Breton. Il fut peintre décorateur en bâtiment, charpentier, entrepreneur mais aussi céramiste, sculpteur, peintre reconnu et récompensé. Il séjourna à New-York, en Amérique du Sud, au Brésil, où il acquiert une renommée internationale. Puis, comme Ulysse, il revient chez lui en Mayenne, à Cossé-le-Vivien (à 17 km de Laval, si vous venez à vélo en empruntant l’ancienne voie de chemin de fer). C’est là qu’il va construire sa Maison des champs financée par la vente de ses toiles. Malraux accorde à cet incroyable ensemble, le titre de musée à l’ archisculpture . Il est enterré chez lui, devant sa maison. Sur sa tombe est gravé sur fond noir : Etrange Musée Robert Tatin 1902-1983 Suivi du prénom de sa dernière femme : Liseron 1939 …
Plus bas, Bruno Godivier, directeur du musée depuis 1997. Mayennais d’origine, il a fait les beaux-arts à Rennes. Derrière lui la maison (et la tombe) de Robert Tatin achetée en 1962, aujourd’hui entièrement restaurée (Photo FC).
Le musée Robert Tatin, de l’Allée des Géants, à la Porte des Géants avec le Dragon et le Jardin des méditations
Cette allée des géants réalisée de 1967 à 1981 est pour Robert Tatin un chemin de vie. Il est composé de 19 sculptures en ciment peint représentant les personnages qui ont marqué sa vie. Une allée monumentale se dirigeant vers la Porte des géants avec les cinq piliers de l’histoire de l’art selon Robert Tatin : Rembrandt, Van Gogh, De Vinci, Goya et Delacroix. Au sommet, deux serpents représentent les aléas de la vie encadrée de la roue du destin. Le Dragon issu de la civilisation orientale, est le gardien du musée et de la conaissance. Plus bas, on découvre Le jardin des méditations , jardin intérieur conçu comme le coeur du musée. Il s’agit d’un univers en réduction où le végétal, l’animal, le minéral et l’humain trouvent leur place.
Le château de Bourgon-Montourtier, quand le rêve se rencontre à l’orée d’un bois
Il cherchait une grande et belle forêt. Elle imaginait un modeste pavillon de chasse. Ils étaient sur la route de la mer (l’île de Ré). Leur chemin s’arrêta en Mayenne. C’était en 2004. Il eut une modeste forêt (30 ha). Elle eut (à son corps défendant !) un immense château. C’est leur histoire, celle de ce couple venu du nord de la France qui s’inscrit maintenant dans les registres du château de Bourgon. Quand en 1976, le château passa à Louis Chevrier de Corcelles et à son épouse, ceux-ci entreprirent quelques travaux de modernisation intérieure mais renoncèrent bien vite à habiter le château, préférant un pavillon plus confortable près des communs. Le château fut alors mis en vente (très longtemps). Il fut cédé entièrement meublé, bibliothèque et archives* comprises (une pièce entière).
* Un chartrier datant de plus de 600 ans où sont conservées toutes les archives du château de Bourgon.

Table et chambres d’hôtes au château
Depuis, Isabelle et Alain Ducatillon forment la sixième famille à habiter les lieux. En tout, 27 générations se sont succédé depuis la construction de Bourgon en 1218 par les familles de Laval et de Couesmes.
Alors cette vie de château ? Le bonheur oui mais écorné par une multitude de contraintes. Hobereaux, certainement pas, à la rigueur gentlemen farmers ! Et pourtant, Louis XIV (le portrait !) qui se tient en majesté dans le grand salon, face à son premier amour (Marie Mancini, nièce de Mazarin) semble les adouber sous le regard indifférent du chat de la maison. Louvois son ministre de la guerre est là, lui aussi mais en pièce rapportée (demandez à Isabelle). N’est-il pas chez lui ce marquis de Louvois qui fut propriétaire de Bourgon avant de le léguer à sa fille Marguerite et son gendre, le duc de Villeroy (fils du ministre et précepteur de Louis XV).
Que représentait en 1689, le château de Bourgon?
La vente du château de Bourgon qui s’est faite en 1689 nous donne un aperçu du domaine : château, étangs, fossés, pont-levis, forge, chapelle de Bourgon ; statut de châtellenie, haute, moyenne et basse justice (c’est-à-dire droit de vie et de mort, mais en pratique, ce droit n’a plus cours depuis des siècles) ; patronage de la paroisse de Montourtier (c’est-à-dire le droit de nommer le curé en nom et place de l’évêque) ; rentes diverses ; bois de Thuré et Neuvillette ; forêt de Bourgon en son entier ; avenue du château à Montourtier et son mail… Pour l’histoire complète du château de Bourgeon, consultez : http://www.chateaudebourgon.com/histoire/

Cette dame de Courcelles qu’un mari jaloux transperça de son épée
Nos hôtes infiniment chaleureux et à l’âme hospitalière sont intarissables sur l’histoire de leur château et bien sûr, de ses fantômes. Ainsi, cette dame de Courcelles qu’un mari jaloux transperça de son épée (sous Henri III). Elle hante certains soirs le calvaire, comme si elle demandait réparation pour sa vie prématurément interrompue. Elle est blanche comme le clair de lune et certains habitants de Montourtier affirment avoir vu cette lueur se déplacer au pied du château. D’autres diront que des traces de sang apparaissent et disparaissent spontanément sur les murs de la pièce où fut perpétré le crime…
Quand Brahms, Debussy, Fauré et Schumann troublent les nuits de Bourgon
Ici à Bourgon, dans une nature protégée, l’ennui n’est pas de mise : l’exploitation forestière, le jardin potager, l’accueil des visiteurs, la cuisine souvent à 4 mains… Mais sans conteste, le point d’orgue est l’organisation des concerts de musique classique par de jeunes musiciens prodiges. Ils sont donnés dans la grande salle du château dans le rougeoiment des braises de l’immense cheminée de granit. Tout récemment Julie Alcaraz se produisait au piano, accompagnée de Camille Belin. Au programme, les Valses de Brahms, danses polovstiennes de Borodine , petite suite de Debussy et mélodies et lieder de Fauré et Schumann. Un rêve ! Quant à l’intendance, Isabelle et Alain ont ce talent de bien recevoir à leur table (si par chance vous réservez l’une de leur 3 chambres d’hôtes). Un détail qui compte ! Lors des nuits les plus froides de l’hiver, le château affiche un bon 22 °. Pour sûr, le bonheur est au château !
*3 chambres d’hôtes sont disponibles au château entre 80 et 110 € avec grande salle de bain en suite.
Isabelle et Alain Ducatillon ont redonné vie à ce beau château endormi (voir plus bas, le grand salon, la salle à manger et le célèbre cabinet bleu de la marquise de Sablé. Bourgon appartenait en effet aux Montmorency au XVIIe siècle. La marquise était l’épouse d’Urbain de Montmorency-Laval (Photo FC)
Quand les messes salzbourgeoises de Mozart résonnent dans l’une des plus impressionnantes abbatiales bénédictines de France
D’abord cette abbatiale d’Evron (avec le titre de basilique) est unique. Elle présente à elle seule, un résumé architectural des époques romane, gothique et le classique. Elle fut construite entre le XIIe et le XIVe siècle. La tour et la nef principale sont romanes tandis que le reste de l’édifice est gothique flamboyant (23,50 m de hauteur sous voûtes). Mais Evron pleure toujours sa grande flèche. Elle couronnait la croisée du transept s’élevant à 70 m. Elle était détruite en 1901 par sécurité car proche de la ruine. Un jour peut-être…


Mille ans d’histoire
Il est 21 h. Un concert d’exception va clôturer le 17e Festival d’Arts Sacrés d’Evron consacré aux NocturneS. Mais avant, laissons la parole à l’historien de la basilique, Emmanuel d’Erceville. Il est en charge du patrimoine d’Evron. Il est aussi le créateur du festival. Oui, bien sûr, il évoquera les 1000 ans d’histoire de la basilique, de cette vaste église romane que les moines mettront plus d’un siècle à achever. Il parlera sans doute de la légende de l’Epine qui fit, grâce au pèlerinage, la richesse de cette abbaye qu’on appelait alors Notre-Dame-de-l’Epine (elle fut détruite lors des invasions bretonne et normande). Une autre fut construite au XIIIe siècle. Mais les goûts avaient changé. Il fallait du gothique. Le résultat n’est autre que ce choeur pourvu d’un déambulatoire à chapelles rayonnantes consacré en 1252. La lumière y pénètre par les larges baies du second niveau. Il fut doté de vitraux posés au XIVe siècle. Regardez bien, ils représentant la légende de la la fondation de l’abbaye (la légende au VIIe siècle de l’Epine). Pourtant, les travaux vont vite s’interrompre faute de subsides. On comprend mieux alors la présence de ce large arc diaphragme qui sépare la nouvelle construction de la nef romane.
Basilique d’Evron, jour de marché. Il est possible de voir les transformations subies au fil des siècles par l’abbatiale d’Evron. Elle offre un résumé architectural des époques romane, gothique et classique (les bâtiments abbatiaux dont le logis abbatial, aujourd’hui occupé par le séminaire Saint-Martin) Photo FC


Qui était donc cette jeune fille de 20 ans au milieu des moines?
Pour Emmanuel d’Ercevelle, ce qui lui tient le plus à coeur (on le resent au ton de sa voix), c’est la crypte. Longtemps oubliée, elle fut repérée en 1885 lors de la restauration du carrelage du chœur gothique. Et puis à malheur, quelque chose est bon. Des travaux malencontreux en 1985 entraînent l’effondrement des voûtes du coeur ce qui la met à jour. Il faut descendre quelques marches. Les visites sont très surveillées. Une lumière très tamisée, l’endroit est en permanence ventilé. Tout doit être fait pour conserver intact l’enduit qui recouvre les murs.
Voici donc cette crypte datant du Xe siècle. Elle comportait une nef à 3 vaisseaux * terminée par un abside percé de 3 larges baies. Au centre, un réduit maçonné où étaient entreposés reliques et trésor. Sur le sol, une curieuse rigole qui drainait un sol gorgé d’eau dont l’évacuation est encore un mystère. Et puis, grand sujet d’étonnement ! Que faisait donc cette jeune fille de 20 ans dans cette crypte au milieu des moines ? Emmanuel d’Erceville a quelques idées. Interrogez-le ! Aujourd’hui, une immense coque en béton protège la crypte, dernier vestige de ce que fut l’édifice reconstruit à partir de 989.
* Lors de la construction du XIIIe siècle, les voûtes furent détruites afin de mettre le chœur au même niveau que la nef.

Idées d’hébergement
- Chambres d’hôtes dans les châteaux de Bourgon (chateaudebourgon.com), de Craon (chateaudecraon.fr) et du manoir de Favry (manoirdefavry.com),
- Hôtel Relais du Gué de Selle à Mézangers (30 chambres à partir de 90 €). Il s’agit d’une ancienne ferme restaurée, entre forêts et étangs, dans un parc de 80 ha.

La route des Joyaux de la Mayenne
Les propriétaires de 12 châteaux, manoir et moulin se sont réunis dans l’association “Quatre pa(s)”* pour mieux repérer les “richesses patrimoniales” qu’offre le département.
*Patrimoine, Parcs et jardins, Passion, Partage. http://www.chateaux-jardinx-mayenne.fr et routedesjoyaux@gmail.com
(En aparté) au sujet du cabinet bleu de la marquise de Sablé au château de Bourgon
« Au lieu d’être attentifs à connaître les autres, nous ne pensons qu’à nous faire connaître nous-mêmes. Il vaudrait mieux écouter pour acquérir de nouvelles lumières que de parler trop pour montrer celles que l’on a acquises ». L’auteure de cette maxime (sur le modèle de celles de La Rochefoucauld) n’est autre que Madeleine de Souvré, marquise de Sablé. L’écrivit-elle dans ce cabinet bleu dont on voit le fauteuil, au château de Bourgon ?
Madeleine de Souvré, marquise de Sablé est née en 1599. Elle fut fille d’honneur de Marie de Médicis (1610). Elle devint femme de lettre et salonnière (s’étant lié d’amitié avec le duc de La Rochefoucauld, elle l’aida dans la rédaction de ses célèbres Maximes). Le 9 janvier 1614, elle épousait Philippe-Emmanuel de Laval-Montmorency, et marquis de Sablé. On ne sait pas autre chose de son mari, sinon qu’il mourut en 1640, et qu’elle en eut quatre enfants. Veuve très tôt, elle se mêla à toutes les intrigues de cour, notamment aux affaires jansénistes. Elle est l’auteure (elle aussi) de “Maximes” sur le modèle de celles de La Rochefoucauld.
