Puerto Angel et son aventurier du chocolat, entre Pacifique et Sierra Madre

A 4 km de la chocolateria, Puerto Angel, petit port de pêche de 2500 habitants au coeur de la « Riviera Oaxaqueña ». On est entre Huatulco et Puerto Escondido  sur une baie entourée de collines rocheuses menant à la  Sierra Madre del Sur. A l’ouest, les célèbres plages de Zipolite, San Agustinillo, Mazunte et La Ventanilla. Photo © François Collombet
Lever de soleil sur Playa Panteón à Puerto Angel. Photo © François Collombet
Lever de soleil sur Playa Panteón à Puerto Angel. Photo © François Collombet

Il est libre Paul ! Il extrait de ses cabosses, le meilleur du chocolat

Le croirait-on français, sans doute ! Il en a l’apparence et la langue. Pourtant ici, entre la Sierra Madre del Sur et le Pacifique, vers le gros bourg de Pochutla (Etat de Oaxaca), on l’appelle l’Arabe. Mais pour ses proches, c’est Pablo, le Pablo d’Arroyo Cruz à Puerto Angel. Ce Paul est né en Egypte. Les hasards de la vie (et Dieu sait s’il a bourlingué !) l’ont débarqué ici, sur cette côte paradisiaque. Alors, à force d’errer d’une plage à l’autre, entre La Boquilla, Puerto Angel, Zipolite, Mazunte, etc. (des noms mythiques pour des générations de “backpackers”), il s’est essayé à tous les métiers. Avant de tomber dans le chocolat, il est passé par la case hôtel-restaurant à La Boquilla, immoblier à Zipolite, etc. Il s’est aussi marié à une femme d’Arroyo Cruz. Il a un petit garçon de 11 ans. Il est donc ici, chez lui.

Pour rejoindre la finca de Paul et ses cacaoyers, il faut se perdre dans la forêt tropicale vers Candelaria Loxicha sur une route dangereuse et toute en lacets qui monte vers la capitale de l’Etat, Oaxaca, à plus de 1500 m d’altitude. Photo © François Collombet
Sur les quelque cent hectares de sa finca, Paul cultive les trois grandes variétés de cacao : le Criollo (venant du mot “créole”) est le cacaoyer, le plus rare, le plus aromatique et le plus recherché. Le Trinitario est un hybride provenant d’un croisement entre Criollo et Forastero. Le Forastero (voir ici ses cabosses) est la variété la plus cultivée dans le monde représentant jusqu’à 90 % de la production. Il est résistant aux maladies, vigoureux et très productif. Photo © François Collombet
A Arroyo Cruz, venant de La Boquilla ou de Puerto Angel, ne pas louper ce petit chemin de sable qui mène jusqu’à la chocolateria, bordant le ruisseau. Photo © François Collombet
La chocolateria de Paul au milieu des bambous et des bananiers. Photo © François Collombet
Ici, c’est son laboratoire et lieu de stockage des fèves de cacao avec les moules à tablettes et barres de chocolat. Photo © François Collombet.

Sa chocolateria à deux pas de plages paradisiaques

C’est la plage isolée de La Boquilla, à 3 km de sa chocolateria. Le chemin qui y conduit rend son accès un brin difficile. En bordure de rivage, les paillotes sont celles du très recherché hôtel Bahia de la Luna. Photo © François Collombet.
Qui n'a pas rêvé d'une telle plage bordant le Pacifique ? Une cerveza, un Pinot Grigio bien frais..., bonheur assuré ! Photo © François Collombet
Qui n’a pas rêvé d’une telle plage bordant le Pacifique ? Une cerveza, un Pinot Grigio, un mojito… Que mas puedes pedir ! Photo © François Collombet
Des hauteurs de la Boquilla, la vue sur 40 km va jusqu’aux baies de Huatulco. C’est une côte très découpée faite de criques, de pointes et de baies. En décembre la nature est encore très verte. Photo © François Collombet
La chocolateria de Pablo installée à Arroyo Cruz dépend du petit port de pêche de Puerto Angel. Au début du XXe siècle, Puerto Angel était un port actif pour le transport du café. Photo © François Collombet
La plage principale de Puerto Angel. Elle a l’avantage d’être au fond d’une baie évitant ainsi les grosses vagues du Pacifique. C’est une plage occupée par les bateaux de pêche et les restaurants de bords de mer. Photo © François Collombet
r la jetée du port de Puerto Angel. Une spécialité, le thon. on pêche aussi le vivaneau rouge (proche de la dorade), l’espadon, le requin et le homard. A l'ouest, les célèbres plages de Zipolite, San Agustinillo, Mazunte (centre mexicain de la tortue) et La Ventinilla. Photo © François Collombet
La jetée sur le port de Puerto Angel. Une spécialité, le thon. On pêche aussi le vivaneau rouge (sorte de dorade), l’espadon, le requin et le homard. A l’ouest, les célèbres plages de Zipolite, San Agustinillo, Mazunte (centre mexicain de la tortue) et La Ventanilla. Photo © François Collombet
Playa Zipolite à 3 km de Puerto Angel. Près de 2 km de plage, nudistes bienvenus et gay-friendly. Attention ! Les vagues sont moyennes à fortes. Photo © François Collombet

Pour le rencontrer

Rencontrer Pablo et sa chocolateria, c’est simple ! De Puerto Angel et son port de pêche, aux allures d’un Saint-Tropez d’avant-guerre, prendre la route montant vers Pochutla (San Pedro Pochutla, Etat de Oaxaca). Pas de problème ! En 10 minutes, taxis ou colectivos vous y déposent. Arroyo Cruz est en contre-bas, à l’embranchement du chemin de terre qui mène à la Boquilla, à sa plage paradisiaque et son hôtel de rêve du bout du monde (Bahia de la Luna).

Arroyo Cruz, une oasis de verdure perdue dans les bambous et les bananiers

Un aperçu coloré de la chocolateria avec les fèves de cacao, les bananes, les mangues et tous ces autres fruits tropicaux qui poussent ici en abondance. Photo © François Collombet
A Arroyo Cruz, cohabitent la chocolateria et une station de pompage où les pipas viennent faire le plein d'eau chez Paul. Photo © François Collombet
A Arroyo Cruz, cohabitent la chocolateria et une station de pompage où les pipas viennent faire le plein d’eau chez Paul. Photo © François Collombet
Le démoulage de ses tablettes. Photo © François Collombet

La chocolateria de Pablo à Arroyo Cruz ? Une petite bâtisse isolée noyée dans les bambous et les bananiers ; une oasis de verdure truffée de sources, traversée par le lit d’un torrent (arroyo). Peu de temps encore, les femmes venaient y laver leur linge. L’eau est aussi pour Pablo une source de revenus (elle sert à alimenter les habitants de Puerto Angel)*. Ne pas louper le chemin de sable bordé d’un panneau bricolé “Chocolateria Pulque de Cacao“. Bienvenu donc chez Pablo à 3 km seulement de la plage de La Boquilla au bout d’une piste harassante sous la chaleur d’une fin d’après-midi de décembre ; de la pierre, de la poussière, de la mauvaise montagne russe. Paul est là, un œil sur sa machine de conchage (affinage), l’autre sur la paillasse où refroidissent ses dernières tablettes. Ses molosses (étonnamment gentils) l’ont prévenu de notre arrivée.

*Il eut un temps une activité de construction et notamment comme puisatier.

Dans les effluves de chocolat chaud

Que peut-on dire ? Le côté “cool” de son accueil ou cette odeur de chocolat chaud mélangée à celle moins légale (!) du cannabis. Cette pièce lui sert de laboratoire. Y sont stockées non seulement les fèves de cacao mais aussi dans un coin s’amoncellent des régimes de bananes dont les roses (les meilleures, les plus goûteuses, les plus nutritives). Quel personnage ! Sa maigreur accentuée par sa tenue “minimaliste” (un simple short) ; son approche presque poétique, philosophique, scientifique et complètement bio de la culture du cacao. Oui, un baba cool qui a plongé dans le chocolat pour se sauver d’une vie hasardeuse dans le business plus ou moins glauque de la côte. A titre d’accueil, on goûte son “pulque de cacao” à peine alcoolisé (un goût délicatement fruité ) avant de croquer son graal, un des meilleurs chocolats que j’ai pu goûter. Un choc gustatif ! On se quitte. La nuit commence à tomber. Rendez-vous le mercredi suivant à 10 h : “j’attends pas” précise-t-il avec un rictus qui se veut souriant.

Pablo devant son appareil de conchage-affinage, étape cruciale dans la fabrication de son chocolat. C’est la dernière étape de transformation du chocolat avant le tempérage et le moulage. Ainsi, après avoir broyé les fèves de cacao, il a ajouté à la pâte obtenue du sucre de canne, très peu de beurre de cacao (pas aussi nécessaire notamment avec le criollo) et une pointe de vanille. Pour Pablo, plus le chocolat est mélangé, plus il sera fin et savoureux. Le temps de conchage va donc durer chez lui, à Arroyo Cruz, plus de 70 heures. Photo © François Collombet

Un brin botaniste, un brin chimiste

Un brin botaniste, un brin chimiste ! Ce grand jeune homme d’une maigreur saisissante mais d’une force herculéenne, au caractère bien trempé, absolument sans peur (mais pas sans reproche!), a découvert son sésame : le chocolat de “Bean-to-bar”(de la fève à la tablette puisqu’il travaille directement ses fèves de cacao pour les transformer). Ne nous trompons pas, c’est un magicien du chocolat. Il a su en quelques années et d’une manière empirique, tout découvrir (en se documentant), tout réinventé, tout repensé. Bon cartésien, bon scientifique, il a planté, expérimenté, essayé.

Serait-il un magicien du chocolat ?

Il sait quand il fait son surprenant chocolat qu’il bouscule bien des codes. Il le façonne comme nul autre pareil : chocolat noir jusqu’à 93 % cacao, totalement bio, aucun additif, très peu de beurre de cacao (5 % et moins), une pointe de vanille. Un délice ! Sa marque : Chocolateria Virginia. Une toute, toute petite production distribuée artisanalement dans quelques boutiques de Mazunte et de Huatulco. Il vend aussi le surplus de ses fèves et son beurre de cacao. A cela s’ajoute, le revenu des fèves de café qui viennent elles aussi de sa finca.

De la fermentation au séchage

Pour Paul, cette fermentation en petit volume dans des bacs qui se ferment hermétiquement lui permet d’en affiner le résultat. Photo © François Collombet
Fût de fermentation des fèves de cacao à Arroyo Cruz. Cette étape se prolonge une petite semaine. Photo © François Collombet

Fûts et bacs de fermentation

Ici, tout se passe autour de la chocolateria. Des fûts de fermentation avec leur légère odeur aigre de cacao en fermentation sont disposés un peu partout. Chez Paul, la fermentation spontanée des fèves de cacao se produit naturellement sans ajout de micro-organismes externes. C’est une étape essentielle qui se déroule juste après la récolte des cabosses venant de sa finca. Les fèves de cacao, enveloppées dans leur pulpe sucrée, sont extraites au pied même des arbres puis disposées à Arroyo Cruz, dans des bacs et fûts de fermentation. Celle-ci se réalise de manière anaérobie, c’est à dire sans oxygène (les fûts sont hermétiquement scellés) pour une durée d’à peu près 6 à 7 jours*. Mais pour Paul, le nec plus ultra est de transposer ensuite, les fèves en cours de fermentation, des fûts à des bacs à dimension plus réduites (servant au transport du poison). Pour lui, pas de doute, le processus de fermentation est alors nettement meilleur.

*Il faut se fier dit-il à l’apparence, à l’odeur de la masse de cacao et la baisse de température. Et puis, il y a l’expérience !

Des fermentations différentes selon la variété du cacao

Les fèves de cacao Criollo, par exemple, sont connues pour leur profil de saveur délicat et sont souvent fermentées pendant une période plus courte que les autres variétés de cacao. En revanche, les fèves de cacao Forastero sont généralement fermentées pendant une période plus longue et sont connues pour leur saveur robuste et leurs niveaux d’amertume plus élevés.

Le séchage

A Arroyo Cruz, tout se fait en famille. Les fèves sont séchées au vent et au soleil sur les toits de son beau-père. En réduisant leur humidité, le séchage permet d’arrêter l’étape de la fermentation. Paul doit assurer une surveillance constante en tournant régulièrement les fèves pour garantir un séchage uniforme et éviter la formation de moisissures. Tous les soirs, ils les rentrent afin d’éviter l’humidité venue de la mer. La phase de séchage peut durer de 6 à 7 jours.

Lors du séchage des fèves sur lattes, gros travail de tri qui permet de retirer toutes les fèves pourries ou trop petites qui risqueraient d’altérer le goût du chocolat. Photo © François Collombet
On est sur les toits de son beau-père. Il faut étaler les fèves et les retourner régulièrement. Avec le soleil et le vent, elles perdront jusqu’à 80 % de leur humidité. Photo © François Collombet

Une journée dans les pas de Paul, le chocolatier-planteur d’Arroyo Cruz

C’est sur ce pan de montagne de la Sierra Madre, dominant un arroyo, que Paul a trouvé la terre et l’ombre idéales pour ses cacaoyers. Photo © François Collombet

Sa finca, une centaine d’hectares perdus dans la forêt tropicale de la Sierra Madre*

Nous étions bien à l’heure ce mercredi-là ! Une journée à vivre avec ce chocolatier fantasque et génial ! Un temps sacrément raccourci pour parcourir le cycle d’élaboration de son chocolat (du cacaoyer à la tablette). Dans un de ces gros pick-up d’une bonne vingtaine d’années, on prend la fameuse carretera 175 qui de Puerto Angel en traversant Pochutla monte tout en lacets vers la capitale de l’Etat, Oaxaca à plus de 1500 m d’altitude. Elle traverse les municipalités de Pluma Hidalgo, Candelaria, Lexica, Santa Maria Huatulco, San Miguel del Puerto, San Mateo Piñas, Pochita et Canica. C’est dans le secteur de cette forêt tropicale qu’on cultive non seulement le cacao mais surtout le café Pluma. Un des meilleurs du monde ! Rapide déjeuner sur le bord de la route avant de bifurquer à droite à la sortie de la municipalité de Candelaria Lexica. A partir de là, une piste à peine carrossable jusqu’à sa finca, sa grande fierté. Dans un autre temps, cette finca (une finca de café) était aux mains d’une richissime famille qui avait fait construire la grande maison d’entrée. Il reste les caféiers que Paul exploite également.

*Chaîne de montagne dans le sud du Mexique parallèle à la côte du Pacifique. Elle s’étend sur environ mille kilomètres, entre le sud de Michoacan et l’est d’Oaxaca.  

Pour atteindre sa finca, il faut savoir traverser à gué les arroyos et grimper dans la montagne au cœur d’une jungle dense et luxuriante. Photo © François Collombet

Il connaît chacun de ses cacaoyers

Dans sa finca d’une centaine d’hectares perdue dans la montagne au sein de la forêt tropicale, il connaît l’emplacement de tous ses cacaoyers, ses criollos (plutôt plantés près de l’arroyo), ses forasteros, ses trinitarios. Il contrôle leurs floraisons. Il sait parer au mieux les maladies et les ravageurs qui attaquent ses cacaoyers. Chez lui, pas d’intrants chimiques. Crapahuter avec lui, c’est découvrir l’incroyable diversité de cette flore qui sert d’ombrage à ses cacaoyers et caféiers : citronnier, manguier, tamarin, bananier, oranger, sapotillier et autres.

Cabosses de de cacao criollo mûres prêtes à être récoltées . C’est la variété la plus raffinée et la plus noble avec un goût puissant, fin et aromatique. Elle représente à peine 5 % de la production mondiale. Ici, chez Paul, on les trouve plutôt près de l’arroyo. Photo © François Collombet
Paul brise cette cabosse qu’il vient de cueillir avec une pierre (ou gourdin ou machette) . On peut alors en extraire les graines enrobées d’une pulpe blanche, appelée mucilage. A un niveau plus important, cette opération s’appelle écabossage. Chaque cabosse renferme de 20 à 50 graines et vingt cabosses donnent un kilogramme de fèves sèches. Photo © François Collombet

Le terrible tremblement de terre du 7 septembre 2017

Il aime venir ici à moto jusqu’à cette ancienne finca de café dont il ne reste que l’anachronique maison encore protégée de grilles ainsi qu’un peu plus haut, une remise en adobe. Il se rappelle avec frayeur alors qu’il dormait au rez-de-chaussée de la grande maison, de cette nuit apocalyptique. Il était seul ce 7 septembre 2017, lorsque, à 23 h 49 un violent tremblement de terre secouait toute la région. L’édifice fut diablement ébranlé mais a tenu. Que pouvait-il faire pour rejoindre au plus vite son fils et sa femme qui habitaient alors Zipolite, à plus de 40 km ? Plus de téléphone, des routes effondrées, des ponts inutilisables . Notre homme est un casse-cou mais “avisé !”. Combien de fois à moto a-t-il échappé à la mort ? Sa technique, s’éjecter de la moto avant de passer sous un camion ! Il sera à Zipolite au petit matin pour retrouver sa famille saine et sauve.

Ses cacaoyers et caféiers se perdent dans une forêt d’arbres tropicaux qui leur servent d’ombre. Photo © François Collombet

Son arroyo, la fierté de Paul

Il nous y mène. Ce n’est pas un torrent à cette période de l’année mais un gros ruisseau qui descend en paliers de la montagne. On le remontera avec difficultés en se frayant un passage au milieu d’une végétation dense et d’un amoncellement d’arbres morts. Il faut encore se hisser jusqu’au pied d’une impressionnante cascade dans un jaillissement d’énormes blocs de rochers. Paul alors se dresse tout en haut dominant son domaine. Sa joie est évidente. Il nous dira plus tard combien sa récolte de fèves cette année avait été exceptionnelle. La preuve, ces deux jeunes aides ont pu s’offrir une moto.

L’arroyo de sa finca nous fait pénétrer dans une jungle, seule voie possible (et risquée) pour atteindre la grande cascade. Photo © François Collombet

Perché sur ce rocher au milieu de la cascade, Paul semble être le maitre du monde tout au moins de ses cacaoyers et caféiers. Photo © François Collombet
De ce cacaoyer Criollo dont on voit la cabosse au-dessus de l’arroyo, vient en partie, l’incroyable qualité de son chocolat. Photo © François Collombet

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