Chez Léon Trotski à Mexico (Coyoacán)

Quand Mexico accueille Léon Trotski, père de la Révolution permanente

En 1929, Léon Trotski rompt avec Staline. D’abord déporté en Sibérie*, il est ensuite banni d’URSS et forcé à l’exil*. Personne alors ne se bat pas pour l’accueillir. Il est le plus célèbre révolutionnaire de son époque défendant l’idée d’une révolution mondiale permanente et surtout principal ennemi de Staline. Trotski sera successivement expulsé de Turquie, de Norvège et de France. Seul le Mexique accepte de le recevoir. C’est le peintre mexicain Diego Rivera connu pour ses convictions communistes qui va convaincre le gouvernement du général Lazaro Cardenas de lui accorder l’asile. Seule condition, ne pas se mêler de polique mexicaine (sa garde rapprochée viendra des Etats-Unis et du Canada). Il débarque en 1937 à l’aéroport de Tampico (Etat de Tamaulipas), sur le Golfe du Mexique en compagnie de sa femme Natalia Sedova, accueillis par la peintre Frida Kahlo. Première étape de l’exil à Mexico, la “maison bleue” du couple de peintres Diego Rivera-Frida Kahlo à Coyoacán. Une brouille poussera Léon Trotski à trouver un autre lieu, à quelques rues de là, Casa Viena où il sera assassiné en 1940.

*Il avait déjà été déporté en Sibérie en 1898 en tant que militant dans les rangs révolutionnaires à l’université de droit d’Odessa. Évadé, il abandonna son épouse Alexandra Sokolovskaïa (dont il n’a jamais divorcé) et ses deux propres filles laissées en Sibérie. Il se réfugia à Londres sous le pseudonyme de Trotski (le nom de l’un de ses geôliers à Odessa).

Jardin de la maison de Léon Trotski à Coyoacán. La réalité de cet assassinat serait presque gommée par ce paisible jardin. Il occupe tout le centre de la maison avec des bancs, des pelouses, des parterres de fleurs, des arbres et surtout des cactus, passion de Léon Trotski. Sur le côté, des cages à poules et clapiers à lapins. Ils rappellent que le maître de maison aimait s’en occuper. En face, l’aile du milieu était réservée aux bureaux et aux chambres. Au fond se trouvaient la cuisine et la salle à manger. Sur le côté, l’habitation des gardes armés. A droite, la sépulture de Léon Trotski, de sa seconde femme et depuis 2023 de son petit-fils. Photo © François Collombet
Du jardin, on aperçoit les murs surélevés et les miradors qui entourent la maison, C’est dans ce périmètre gardé jour et nuit que Trotski passa les derniers mois de sa vie, sans pouvoir sortir car, depuis l’attentat de mai 1940, il craignait d’être à tout moment assassiné. Photo © François Collombet
Bureau de travail de Leon Trotski, là où il fut assassiné par Ramón Mercader. Les bâtiments et le mobilier des années 1940 sont demeurés en l’état. On voit ainsi ses meubles et ses effets personnels, tels que léon Trotski les a laissés à sa mort. Dans le jardin de la maison se trouve la stèle funéraire du dirigeant russe conçue par l’architecte Juan O’Gorman (qui a également conçu l’architecture du musée de la Maison Atelier de Diego Rivera et Frida Kahlo).  Photo © François Collombet

Casa Viena, un musée à la mémoire de Léon Trotski

C’est ici, à Mexico, quartier de Coyoacán, dans cette surprenante “Casa Viena”, lieu de son exil mexicain que le 20 août 1940, Léon Trotski, était assassiné, le crâne fracassé par un piolet. Une diabolique opération commanditée par Staline ! Il avait 60 ans. Depuis, Trotski né Lev Davidovitch Bronstein en Ukraine, le 7 novembre 1879, héro de la révolution d’Octobre, fondateur de l’Armée rouge et défenseur d’une révolution mondiale y a sa sépulture. Aujourd’hui, cette émouvante maison de brique, calle Viena à Coyoacan, faite de colonnades et de chapiteaux, où Trotski passa les 3 dernières années de son existence est un musée. Il a été fondé par Estéban Volkov à la mémoire de son grand-père. Cet unique petit-fils qu’il fit venir auprès de lui en 1939, vient de mourir à Mexico à 97 ans en juin 2023. Il est le dernier survivant de la famille Trotski (son père Platon Ivanovitch Volkov a été assassiné au Goulag ; sa mère Zinaïda Volkova suicidée ou encore son oncle Lev Sedov assassiné. Il est le dernier témoin des ultimes moments de Leon Trotski chez lui, casa Viena. Il avait 13 ans et ce jour là, il rentrait de l’école.

Pénétrer dans le musée Casa de Leon Trotsky 10 calle Viena (à quelques rues seulement de Casa Azul, musée Frida-Kahlo) et non loin de l’arrêt du métro Universidad (ligne Indios verdes), c’est entrer dans un havre de fraîcheur et de calme (malgré le bruit incessant du périphérique intérieur qui longe le musée). Une annexe moderne qui donne accès au musée a été construite en 1990 ; un musée dédié à la mémoire de Léon Trotski avec bibliothèque, galeries où sont exposées des photographies et un auditorium dans lequel se tiennent des conférences. La maison de Trotski est classée monument historique depuis 1982. Selon le personnel du musée, Estéban Volkov (Don Estéban) petit-fils de Léon Trotski fut le fondateur et l’âme de cet espace. « Sans son dynamisme et son caractère, le musée aurait échoué dans sa tâche. Tout ce que nous sommes aujourd’hui en tant qu’institution, c’est à lui que nous le devons ». Photo © François Collombet

Une maison transformée en fortin

Celui qui fut avec Vladimir Ilitch Oulianov (Lénine), l’un des instigateurs du soulèvement bolchévique d’octobre 1917 repose dans le jardin de sa grande maison de brique qui pour sa sécurité fut transformée en fortin. Pourtant rien n’empêcha l’assassin de s’introduire dans les lieux. C’était une relation de la famille. Ni les miradors, ni les hauts murs, ni les fenêtres extérieures condamnées, ni même les gardes armés qui devaient veiller sur lui jour et nuit ne furent d’aucun secours. Les impacts de balles laissés deux mois auparavant par un commando téléguidé de Moscou*, et encore visibles dans les murs de la chambre, n’étaient qu’un sinistre avertissement. Trotski banni d’URSS en 1929, forcé à l’exil était condamné à mort depuis un ordre de Staline en 1936. Le père de la Révolution permanente “savait parfaitement qu’on ne lui avait donné qu’un répit. Chaque matin quand il se levait il ouvrait la fenêtre et disait à Natalia (sa seconde épouse) : “ ils nous ont donné un jour de plus de vie!” La question, c’était par où viendrait l’attentat suivant ” se rappelait son petit-fils, Esteban (Sieva) Volkov, seul survivant d’une famille décimée par la volonté de Staline.

Léon Trotski 9 portraits de 1915 à 1940 du dirigeant bolchévique, fondateur en 1938 de Quatrième Internationale (organisation communiste Trotkiste contre le stalinisme). Il fut assassiné sur ordre de Staline dans sa maison de Mexico, le 20 août 1940. Musée Léon Trotsky à Coyoacan. Photo © François Collombet
Léon Trotski et 9 portraits de 1915 à 1940 du dirigeant bolchévique, fondateur en 1938 de la Quatrième Internationale (organisation communiste Trotkiste contre le stalinisme). En fait, le terme « trotskiste » fut d’abord utilisé comme une injure par Grigori Zinoviev et repris par Staline. Dun côté la « révolution permanente » soutenue par Trotski et de l’autre la « révolution d’un seul pays ». Zinoviev va s’associer en 1923 avec Lev Kamenev et Joseph Staline pour former une troïka dans le but de marginaliser Léon Trotski. Musée Léon Trotski à Coyoacán. Photo © François Collombet
La figure emblématique avec faucille et marteau du père de la Révolution russe, Léon Trotski est ici, dans sa maison de la calle Viena honorée lors du Dia de los Muertos, début novembre marqué par des couleurs extravagantes et des représentations de crânes en papier. Cette fête reconnue par l’Unesco a pour pièce maitresse, un autel ou ofrenda comme on peut voir ici avec des offrandes, de l’eau, de la nourriture, du pan de muerto, des photos, des livres sur le disparu, etc. D’après l’écrivain français André Breton, un ami de Trotski, les  calaveras, ces têtes de mort souriantes sont le “pouvoir de conciliation de la vie et de la mort”, preuve indiscutable de cet art révolutionnaire qu’est le surréalisme au Mexique. Photo © François Collombet

Dans la même sépulture, les grands-parents et le petit fils qui les a rejoints en 2023 

Plaque apposée au pied de la stèle funéraire dans le jardin de leur maison de Coyoacan, avec trois noms : Léon Trotski, sa femme, Natalia Sedova et leur petit-fils, Estéban Volkov décédé en 2023, dernier à y être enterré. Photo © François Collombet

Natalia Sedova, grand-mère “politique” du petit-fils de Léon Trotski

Dans le jardin, au pied d’un mât où flotte le drapeau rouge, se dresse une stèle grise au bout d’une allée de fleurs et de cactus. Un simple nom, Leon Trotsky avec une faucille et un marteau. A ses côtés, sa femme, Natalia Sedova. Il l’avait rencontré à Paris en 1902. Elle avait 22 ans, lui, 23. Ils ne se quitteront plus. Ils auront deux enfants : Lev Sedov (1906-1938) et Sergueï Dedov (1908-1937). Elle s’est éteinte à 79 ans, en 1962 en banlieue parisienne. C’est elle, en mai 1940, qui, quelques mois avant l’assassinat de Trotski, lors d’un premier attentat dans leur maison de Coyoacán, pour le protéger de la mitraille des sicaires de Staline, le sauva en se jetant sur lui. L’écrivain français, André Breton dira de Natalia Sedova qu’elle pouvait être comparée aux « plus grandes figures de l’Antiquité ». Elle vécut ici, dans cette maison, pendant une vingtaine d’années jusqu’à sa mort. En 2023, Vsevolod (Sieva) Volkov, unique petit-fils de Léon Trotski surnommé Estéban, né en 1926 à Yalta en Crimée (il avait oublié le russe de son enfance et ne communiquait avec ses grands-parents qu’en français), rejoignait son grand-père et celle qu’il appelait affectueusement sa grand-mère politique dans leur sépulture. Il n’avait dû sa vie qu’à un geste de Staline. Le dictateur avait autorisé sa mère*, l’une des deux filles de Trotski à fuir avec un seul de ses enfants (elle laissa sa fille Alexandra ). “Toute ma famille et nos proches ont été exterminés par Staline” disait-il.

Estéban Volkov (13 ans) avec ses grands-parents Natalia Sedova et Léon Trotski, en 1939 à Taxco dans le nord de l’État de Guerrero au Mexique à environ 160 km de Mexico. Le jeune Sieva qu’on appela Estéban avait rejoint son grand-père au Mexique en 1939. (Gilles Walusinski/Collection particulière) 

Le périple d’un exilé

Le périple d’un exilé qui sera expulsé de Turquie, de Norvège et de France avant d’être accueilli par le Mexique.

Léon Trotski, le plus célèbre révolutionnaire de son époque défendant l’idée d’une révolution mondiale permanente et principal ennemi de Staline est successivement expulsé de Turquie, de Norvège et de France. Seul le Mexique accepte de le recevoir.

Chez Diego Rivera et Frida Kahlo

Lorsqu’il arrive avec sa femme, Natalia Sedova au Mexique en janvier 1937, Trotski est hébergé par les deux peintres avant-gardistes, Diego Rivera et Frida Kahlo dans leur Casa Azul à Coyoacán. Cette Maison Bleue était le rendez-vous de tous les intellectuels en quête d’onction révolutionnaire (en 1936, Rivera avait rejoint la section mexicaine de la IVe Internationale). Lors de son séjour, Trotski y rencontre le poète français André Breton*. “Le Mexique tend à être le lieu surréaliste par excellence”, déclare t-il à son arrivée à Mexico, en avril 1938. Il y verra la matière première du surréalisme partout où il posera les yeux. Il reste quatre mois chez ses hôtes, Diego Rivera et Frida Kalho. C’est là qu’il rédige son Manifeste pour un art révolutionnaire indépendant. Lors d’une visite à Cholula (près de Puebla) qu’il fait en compagnie de Léon Trotski au Sanctuaire de la Vierge au sommet de la grande pyramide, “Breton fut pris d’un tel enthousiasme pour le baroque mexicain et ses accents aztèques que, sous les yeux horrifiés de son compagnon, il arracha quelques ex-voto et les cacha sous sa veste pour les ramener en France.”

Lorsque le couple Trotski arrive au Mexique, il est accueilli chez Frida Kahlo (sa maison d’enfance) et Diego Rivera qu’elle a épousé en 1931. C’est aujourd’hui le musée Frida Kahlo (Casa Azul) appelé la Maison bleue en raison de ses murs extérieurs bleu cobalt. Il est situé dans le quartier Colonia Del Carmen de Coyoacán à Mexico. C’est l’un des musées les plus connus et les plus visités du Mexique, accueillant environ 25 000 visiteurs par mois. Attention ! La réservation se fait sur internet et c’est souvent complet. De là, dix minutes suffisent pour rejoindre à pied la maison et le musée Léon Trotski, calle Viena. Photo © François Collombet
Sur les hauteurs de Coyoacán, le Museo Casa Estudio Diego Rivera y Frida Kalho. Un monument décisif dans l’histoire de l’architecture mexicaine du XXe siècle. Il est fortement inspiré par l’architecte Le Corbusier mais d’après les plans de Juan O’Gorman. Diego Rivera et Frida Kahlo y vécurent de 1934 à 1940. Léon Trotski et Natalia Sedova y séjournèrent sans doute. Cet ensemble avant-gardiste est composé de deux édifices qui se trouvent reliés entre eux par une passerelle : l’un abritait l’atelier de Frida Kahlo (bleu), l’autre celui de Diego Rivera (rose grenat). Fin 2023, l’édifice était en pleine restauration. Photo © François Collombet 
L’atelier de Diego Rivera au Museo Casa Estudio Diego Rivera y Frida Kahlo. Cet artiste mondialement connu pour ses peintures murales a réuni dans ce lieu des sculptures mexicaines en papier mâché (Cartoneria popular), les fameux “judas” de Ribera réalisés grâce à un procédé de modelage sur papier ainsi que sa collection d’objets précolombiens. Photo © François Collombet
Diego Vera, Léon Trotski et André Breton à Coyoacán en 1938.

La brouille : flirt entre Frida Kahlo et Léon Trotski ou malentendu !!!

On a parlé d’une petite aventure entre Frida Kahlo et Léon Trotski ; de cette habitude de Frida d’utiliser à l’américaine le mot “love” à tout bout de champ ce qui exacerbait Diego Ribera. On a dit aussi que ces deux là s’échangeaient des livres qui contenaient des “petits mots”. Plus prosaïquement d’après Estéban Volkov petit-fils de Trotski, la brouille viendrait d’un malentendu. Une revue avait été créée par de jeunes trotskistes. Crime de lèse-majesté, Diego Rivera n’en était pas le directeur. Il pensait que Trotski l’avait évincé. Il écrit donc à André Breton pour s’en plaindre. Une copie de la lettre est lue par Natalia, etc. Les relations vont alors se tendre entre Diego Rivera et Leon Trotski. En réalité, la cohabitation était devenue trop pesante.

Arrivée le 8 janvier 1937 à l’aéroport de Tampico de Léon Trotski et de sa femme Natalia Sedova accueillis par Frida Kahlo et Max Schachtman théoricien marxiste américain à l’époque où il était encore trotskiste.

Léon Trotski, le révolutionnaire homme de plume

Trotski est un gros travailleur. Rien qu’au Mexique, il va écrire après ses deux best-sellers La Révolution permanente (1931) et Histoire de la Révolution russe (1932-1933), trois autres ouvrages qui occupent une bonne partie de son temps. D’ailleurs il vit en partie sur ses droits d’auteur. Son ultime but est de réfuter la responsabilité des crimes que lui impute Staline qui l’a d’ailleurs condamné à mort par contumace.

Le jeune gardien-guide qui m’accompagne, casquette ornée de l’étoile rouge, vareuse militaire et T-shirt à l’effigie de Léon Trotski m’explique combien Trotski révolutionnaire était aussi un homme d’écriture. Ici, me précise-t-il on parlait et écrivait beaucoup le français. Photos © François Collombet

Quelle ironie, dernier livre de Trotski , une biographie de Staline !

Déjà en 1933, Léon Trotski alors installé à Barbizon décidait d’écrire une biographie de Lénine. Arrivé au Mexique en 1937, il reprend ce chantier qui sera interrompu par le départ de sa dactylo russe. Changement de projet ! En 1938, l’éditeur américain Harper and Brothers lui suggère une biographie de Staline (plus vendable !). Lorsque Trotski est assassiné en août 1940, le manuscrit est déjà bien avancé au point que le le traducteur américain en contact permanent avec Trotski s’est déjà mis au travail. Fin 1941, l’édition américaine du Staline de Trotski paraît chez Harper and Brothers. Mais sa diffusion est stoppée nette. Nous sommes le 7 décembre 1941 et c’est Pearl Harbor. Pression des soviétiques sur le gouvernement américain pour surseoir à la diffusion du livre. La donne a en effet changé. Depuis l’invasion Allemande quelques mois auparavant, Staline est devenu un allié. Pour l’anecdote, un seul exemplaire du Staline de Léon Trotski a fuité. Il est déposé à la Bibliothèque du Congrès des Etats-Unis, à Washington. Il faudra attendre mars 1946 et la fin de la guerre pour que Harper and Brothers mette enfin le livre en vente. Deux ans plus tard, l’édition du livre paraissait en français chez Bernard Grasset.

Dernier livre écrit par Léon Trotski dans sa maison calle Viena, une biographie de Staline. Assassiné en août 1940, Trotski ne put complètement l’achever. L’éditeur américain sortit le livre en décembre 1941. Il fut retiré de la vente sous pression des soviétique après le désastre de Pearl Harbor. Staline étant devenu un allié des Américains.

Trotski dans l’intimité de sa maison calle Viena

Trotski est un homme qui se lève tôt. Il travaille sans interruption et passe la plupart de ses journées à écrire. Le soir, seul exercice physique, il sort nourrir ses poules et ses lapins. Il est aussi très soucieux d’éduquer politiquement les camarades qui l’ont rejoint et notamment les Nord-Américains du Socialist Workers Party ou SWP (parti politique américain trotkiste créé début 1938), et les journalistes en demande d’interview. Dans cette maison pleine de vie, on le surnomme “The Old man” , surtout ses gardes du corps venant pour la plupart, des Etats-Unis.

La chambre du couple Trotski de la Casa Calle Viena. Sur le mur, un impact de balles de l’attentat de mai 1940. Léon Trotski et sa femme, Natalia Sedova en sont sortis indemnes. Dans la chambre mitoyenne, leur petits-fils, Estéban Volkov a été atteint d’une balle à l’orteil. Photo © François Collombet
La salle de bain du couple Trotski de la Casa Calle Viena. Photo © François Collombet

Calle Viena, cuisine et salle à manger de la maison de Trotski. Photos © François Collombet

L’homme qui aimait les cactus

Rien de plus vrai que les souvenirs d’un enfant arrivé auprès de son grand-père en 1939 à Coyoacán. Il raconte les pique-niques ou les excursions en dehors de Mexico à Taxco dans le nord de l’État de Guerrero ou bien dans l’Etat d’Hidalgo à quelques heures de route. Léon Trotski avait développé une passion pour les cactus, ce genre de cactus appelé Espostoa dont la particularité est d’être comme couvert de cheveux. Imaginons le grand-père et le jeune Estéban Volkov (13 ans) ramasser ces bébés cactus pour les replanter dans le jardin de la calle Viena tels de véritables trophées de chasse !

Le jardin du musée de la maison de Léon Trotski à Coyoacán, calle Viena. Autour de la sépulture, une forêt de cactus, passion botanique de Léon Trotski et de son petit fils, Estéban Volkov. Photos © François Collombet

Un piège diabolique ourdi par les services de Staline

Léon Trotski artisan majeur de la révolution bolchevik devait payer de sa vie son opposition à Staline. Pour le maître du Kremlin, c’était devenue une obsession. Il fallait l’éliminer à tout prix. La Quatrième Internationale, organisation communiste internationale fondée en 1938 par Trotski le défiait directement. L’exilé était devenu un électron libre, d’autant plus dangereux que hors de l’URSS. Ses livres et articles écrits en exil, qualifiaient Staline d’intendant d’Hitler tout en condamnant le culte de la personnalité, le totalitarisme et surtout la bureaucratie. Pour Staline, cette comparaison entre l’URSS et l’Allemagne nazie était insupportable.

“Trotski doit être éliminé dans l’année” (Staline)

Les ordres donnés par Staline à Pavel Soudoplatov, officier du NKVD (chef de l’administration des missions spéciales en charge des sabotages, enlèvements ou assassinats) et nommé principal organisateur de l’assassinat de Trotski sont clairs : “Trotski doit être éliminé dans l’année avant que l’inévitable guerre n’éclate (l’invasion de l’Union soviétique date de juin 1941). Sans l’élimination de Trotski, comme le montre l’expérience espagnole, nous ne pouvons être sûrs qu’en cas d’attaque des impérialistes contre l’Union soviétique, nos compagnons d’armes du mouvement communiste international nous soutiendront “. Une première tentative d’assassinat le 24 mai 1940 échoue. Trotski, sa femme, Natalia et leur petit-fils Estéban par miracle, sortent de la mitraille des tueurs vivants. L’attaque oblige alors le couple à renforcer la sécurité des lieux, à ne plus sortir, à ne faire confiance qu’aux très proches. Et c’est là que le piège (imparable) se referme sur celui qui fut, contre Staline, l’indéfectible allié de Lénine* .

*On fête (très très discrètement !) en 2024, le centenaire de sa mort.

Son assassin, un familier de la famille

Ce premier échec rend Staline hystérique ! Soudoplatov et Beria sont convoqués. Un plan B, oui, ils l’ont. Pour l’accomplir, Pavel Soudoplatov avait jeté son dévolu sur un jeune communiste espagnol : Ramón Mercader (1913-1978), alias le belge Jacques Mornard. C’est un ancien combattant de la guerre d’Espagne. Il est recruté en 1937 par l’intermédiaire de sa mère* (une mère dominatrice) elle-même agente du NKVD (police politique, ancêtre du KGB) et maîtresse de son agent traitant. Sa mission : devenir un familiers du révolutionnaire en exil à Mexico. Ramón Mercader est issu d’une riche famille catalane par son père et de l’aristocratie cubaine par sa mère. Il partage avec elle une véritable dévotion pour Staline. Il sera formé pour devenir un agent secret. Il a une arme évidente, son charme. Tout est alors planifié et notamment la rencontre en 1939, dans un hôtel parisien avec celle qui lui permettra d’approcher Léon Trotski. Mercader se présente comme un jeune journaliste (mais avec un faux passeport canadien au nom de Frank Jackson) quand il croise Sylvia Ageloff (1910-1995). C’est une Américaine, jeune assistante sociale de Brooklyn. Elle milite dans le Socialist Workers Party, d’obédience trotskyste. Elle tombe immédiatement sous le charme de ce jeune homme beau et cultivé de 3 ans plus jeune qu’elle.

Opération ‘Canard” montée par le NKVD

Sylvia Ageloff jeune trotskiste Américaine fut celle qui, naïve, permit à Ramón Mercader de s’introduire auprès de Léon Trotski à Coyoacán.

En octobre 1939, le couple Jackson-Ageloff est à Mexico. L’objectif est de pénétrer le premier cercle gravitant autour de Léon Trotski. D’après les plans, ils font partis de la deuxième équipe dirigée par Naoum Eitingon, ancien agent adjoint du NKVD  en Espagne (alias Léonid Kotov) sous les ordre du général Orlov. C’est l’opération “Canard” . De ce Franck Jackson (Ramón Mercader), Estéban Volkof, petit-fils de Léon Trotski dira : ” c’était un homme très correct, élégant, très aimable. Sa stratégie était justement de ne montrer aucun intérêt à connaître Trotski. Il se maintenait toujours aux alentours de la maison, il rendait des petits services aux camarades, aux secrétaires, il les emmenait manger dans de bons restaurants “. Cette mise en confiance fonctionne à merveille. Estéban se souvient des pique-niques qu’il organisait autour de Mexico : “on faisait des promenades avec lui dans la montagne. Il a même conduit des amis en voiture jusqu’à Veracruz, à 400 km d’ici“. 

Une Sylvia Ageloff pas si naïve !

Contrairement à ce qui a été affirmé, Sylvia Ageloff n’était pas la jeune fille naïve qu’on aime présenter. Pour la protection de Léon Trotski, elle évitait même de venir accompagnée de Mercader lorsqu’elle se rendait calle Viena. N’était-ce pas elle qui mit en garde Trotski du faux passeport de son compagnon, Franck Jackson. Mais la sollicitude de ce dernier fut payante. Elle lui permit en tant que prétendu journaliste d’approcher enfin Trotski. Le 20 août 1940, Franck Jackson obtient un entretien avec Trotski, afin qu’il corrige un de ses articles. « refuser de rendre un petit service à ce nouvel ami ? C’est comme ça qu’il a réussi à entrer dans son bureau. Trotski est tombé dans le piège ».

Une exécution par un coup de piolet

Trotski n’est absolument pas méfiant. Ne se sont-ils pas croisés au moins une dizaine de fois jusqu’à prendre récemment le thé ensemble ? Alors que ” le vieux révolutionnaire ” commence à se pencher sur le texte, Franck Jackson (Mercader) se saisit du piolet. Il l’avait dissimulé sous sa gabardine. Une gabardine en plein été sans éveiller les soupçons ! Seule Natalia s’en était étonnée. D’un coup qui sera mortel, il le plante à l’arrière du crâne de Trotski. Mais celui-ci parvient à ramper jusqu’à la pièce d’à côté et à appeler ses gardes. On a le témoignage de l’un d’entre eux, Joe Hansen, le premier à pénétrer dans le bureau de Trotski. Il décrit un assassin sanglotant, qui balbutie frénétiquement : « Ils m’ont forcé à le faire ». D’autres témoins déclarent que Trotski aurait craché sur Mercader. Il aurait commencé à se débattre occasionnant une fracture de la main de Mercader. On dit aussi que Trotski aurait empêché ses gardes de tuer l’assassin pour qu’il puisse avouer le nom des commanditaires.

Le témoignage d’Estéban Volkov petit-fils de Trotski

Ramón Mercader blessé par les gardes de Léon Trotski lors de son arrestation. Il s’identifia comme étant Jacques Mornard. Il fut condamné le 16 mai 1944 à 20 ans de prison et à 3 485 pesos. Il ne donna aucune indication permettant de connaître la vérité. Il n’éclaircit jamais non plus les motifs de son crime.

Le récit qu’en fait Estéban Volkov est bien plus poignant : “Je rentrais tranquillement de l’école dans l’après-midi, c’était une chaude journée d’été. De loin j’ai vu que quelque chose d’étrange se passait devant notre maison. Il y avait des policiers, de l’agitation, ça m’a angoissé. J’ai accéléré le pas et je suis entré. J’ai d’abord vu l’un des secrétaires, très nerveux, pistolet à la main. Je lui ai demandé ce qu’il se passait. Son unique réponse fut: “Jackson, Jackson (Ramón Mercader) ! Dans un coin, j’ai vu Jackson avec du sang plein la figure, frappé par des policiers et des camarades. Il gémissait comme un animal, je n’avais jamais vu une personne dans cet état. Par une porte entr’ouverte, j’ai vu mon grand-père par terre, la figure en sang. Natalia lui mettait de la glace sur la tête. J’ai su plus tard que quand il a entendu mes pas dans la bibliothèque, il a réussi à dire: ” Maintenez mon petit-fils éloigné, il ne doit pas voir cette scène.” Ça m’a toujours été difficile de raconter cet épisode “. Trotski devait décéder le lendemain à l’hôpital.

Mexico, Moscou, La Havane, Moscou

L’assassin sera condamné à 20 ans de prison, peine maximale prévue par la loi au Mexique. A la police, il déclara s’appeler Jacques Mornard (ou Ramón López). Elle mettra 10 ans à découvrir sa véritable identité et ne parviendra pas à prouver formellement qu’il agissait sur l’ordre du NKVD. Alors ce Mercader/Mornard/Jackson/Lopez, a-t-il ressenti le moindre regret après cet assassinat commandité par Staline ? Beaucoup aimerait le penser. D’après son frère, Luis Mercader, Moscou n’a jamais abandonné Ramón à son sort. Pour sa défense, il eut droit aux meilleurs avocats. Il fut même créé un comité de soutien. Une femme pendant toutes ses années d’incarcération fut engagée pour préparer chez elle le déjeuner qu’elle lui apportait dans sa cellule. D’ailleurs, Ramón épousa en prison sa fille (une Indienne). Il disposait d’une bibliothèque, d’une radio, des journaux du jour. Il lisait passionnément. Il devint un véritable érudit.

Hôte personnel de Fidel Castro

Le retour à Moscou en 1960 est une grande désillusion. La réalité soviétique est beaucoup moins flamboyante qu’imaginée pendant ces 20 années d’incarcération. On lui attribue un très modeste appartement qu’il partage avec Roquelia épousée en prison. Loin d’être traité en héros, il se voit décerner en toute discrétion, l’ordre de Lénine sous un nom d’emprunt, Ramon Ivanovitch Lopez pour avoir (de sa propre initiative !) éliminé un ennemi du socialisme. Après avoir pendant 14 ans, plaidé le souhait de se rendre à Cuba (le pays de sa mère), on lui offre enfin cette opportunité. Fidel Castro l’accueille comme un héro. Il lui offre une villa entourée d’un jardin. Ramón est l’hôte personnel de Fidel. Il reprend goût à la vie. Il peut même retravailler comme conseiller au ministère des affaires intérieures. Il devait mourir d’un cancer des os le 18 octobre 1978, à l’âge de 65 ans. Ses cendres sont déposées au cimetière de Kountsevo à Moscou, sous le nom de “Ramon Ivanovitch Lopez, héros de l’Union soviétique”.   

La maison de Coyoacán, calle Viena est restée en l’état (bâtiments et mobilier) depuis août 1940, au moment de l’assassinat de Léon Trotski dans son bureau par Ramón Mercader. Ce que l’on voit aujourd’hui, c’est une maison qui fut fortifiée après le premier attentat de mai 1940. Estéban Volkov*, décédé à 97 ans en 2023 était le denier témoin vivant de l’assassinat de son grand-père. “J’ai vécu dans cette maison jusqu’en 1970” disait-il. A cette époque, le président mexicain réquisitionne la maison de Trotski pendant quelques mois par peur d’un activisme trotskiste qui régnait alors dans les universités mexicaines. Mais très réaliste, il se rend compte qu’il est impossible de détruire ce qui est considéré comme un bâtiment historique.

La maison fut classée Monument historique en 1982

Qu’en faire si ce n’est le restituer à la famille ! La maison est en 1982 classée Monument historique par le président José López Portillo. A charge pour Estéban d’entretenir la maison qu’il habitait depuis la mort de ma grand-mère en 1962 : “Je vivais là avec ma famille. Mes quatre filles étaient très heureuses ici “. En 1989, à son départ en retraite, il fonde le Museo Casa de Leon Trotski dont il sera le conservateur jusqu’à sa mort. En 1990, il créait une annexe moderne abritant un musée dédié à la mémoire de Léon Trotski avec une bibliothèque, une galerie et un auditorium dans lequel se tiennent des conférences.

*Estéban eut une carrière de chimiste. Il fut l’un des promoteurs qui mit au point au Mexique, la production industrielle de la pilule contraceptive. Il se maria à la créatrice de mode Palmira Fernández (disparue en 1997). De cette union sont nées quatre filles : Verónica (1955), Nora (1956) ainsi que des jumelles Natalia et Patricia (1957).

Estéban Volkov en 1939 avec son Grand-père, Léon Trotski et sa grand-mère “politique” Natalia Sedova. Sans être le successeur politique de son grand-père, il sut en défendre la mémoire. Ainsi, critiqua-t-il “Trotsky “, cette série de huit épisodes, dirigée par Alexander Kott et Konstantin Statsky, sur Netflix en 2017. Série financée par les Russes, son contenu était anti-trotskiste et antisémite. Seul point positif, elle attira au musée, un nombre incroyable de visiteurs.
Une génération post 1968 (mouvements étudiants) flirta avec le trotskisme. Quoi de plus symbolique que prendre un thé ou un café 50 ans plus tard, chez Léon Trotski à Coyoacán (Mexico) ! A gauche, l’auteur de cet article. (Photo Museo Casa de Leon Trotsky).
Entrée du musée de la Maison de Léon Trotski, 10, calle Viena (ou Río Churubusco 410) à Coyoacán. Il suffit de traverser le musée pour pénétrer dans le jardin et la maison de Léon Trotski. Estéban Volkov, petit-fils de Léon Trotski créait en 1990, à l’occasion du 50e anniversaire de son assassinat, le musée Léon Trotski ainsi que l’Institut pour le droit d’asile et les libertés publiques, situé juste à côté (Instituto del Derecho de Asilo – Museo Casa de León). Le musée reçoit plus de 100 000 visiteurs par an. Il n’est soutenu que par la vente de billets et les dons. Photos © François Collombet

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