Ma visite au Mont et Merveille, cette abbaye merveille de l’occident médiéval ! Toute une journée, à découvrir cet îlot rocheux planté au fond d’une immense baie entre Bretagne et Normandie ! A parcourir une histoire de 1300 ans où s’entremêle le divin (l’archange), les pèlerins, la géopolitique, les vikings, les ducs de Normandie, les Plantagenêt, un ordre monastique surpuissant (les bénédictins), les anglais chez eux et boutés hors de France, les rois, la Révolution, les Républiques… Il y aura le mal et le bien, des guerres incessantes, des meurtres, la décadence et surtout la prison, une abbaye devenue Bastille des mers. Mais ce lieu exceptionnel entre ciel et mer a fait surgir l’un des plus beaux joyaux de la chrétienté médiévale, une abbaye surnommée la Merveille. Partons donc au fil d’une visite qui aimerait suivre une certaine chronologie mais au Mont-Saint-Michel, mission impossible ! Alors, commençons par le début, par un songe suivi d’un terrifiant séisme, un jour de mars 709.

I/ A l’approche de l’abbaye
Une stupéfiante beauté, une prouesse architecturale, une Merveille surgie entre ciel et mer ! Le Mont-Saint-Michel est à la mer ce que la grande pyramide de Khéops est au désert écrivait Victor Hugo. Mais à cette longue liste de superlatifs, ne pas omettre l’essentiel, la dimension spirituelle de l’abbaye bénédictine dédiée à l’archange Saint Michel dont l’élévation sur un piton rocheux au milieu de la plus belle baie du monde (battue par de redoutables marées parmi les plus fortes du monde), défie les lois de l’équilibre. D’ailleurs, l’abbaye ne fut-t-elle pas l’un des plus fabuleux chantiers de l’époque médiévale ? Si les bénédictins ont quitté le rocher, depuis 2001, deux communautés de moines et de moniales des Fraternités Monastiques de Jérusalem sont présentes à l’abbaye du Mont-Saint-Michel. Elles y assurent la prière quotidienne (offices, messe) et l’accueil monastique. Elles vivent dans l’abbaye.

Les dix chemins montois, grand retour des pèlerinages médiévaux
De plus, le Mont-Saint-Michel est l’aboutissement de la Route des Abbayes normandes (Jumièges, Saint-Wandrille, Le Bec-Hellouin…) et des chemins montois, appelés aussi chemins du Paradis. Aujourd’hui dix itinéraires totalisant plus de 3 600 km ont été réhabilités, balisés et ouverts à nous, pèlerins du XXIe siècle (surnommés miquelots depuis le Moyen Âge) qui voulons revivre la grande aventure spirituelle des pèlerinages médiévaux. D’ailleurs l’association Les chemins du Mont-Saint-Michel vient de proposer à Ouistreham (port par lequel arrivent aujourd’hui des marcheurs britanniques voulant se rendre au Mont-Saint-Michel) de devenir ville départ de la marche entre Caen et le Mont-Saint-Michel. A la grande époque des pèlerinages au XIVe siècle, qui attiraient des foules venues de toute l’Europe, certains, les Romieu (se rendant à Rome) ou les Jacquet à Saint-Jacques de Compostelle se moquaient : les petits gueux vont au Mont-Saint-Michel, et les grands à Saint-Jacques. Du mauvais esprit sans doute !

Toute une journée sur le Mont et Merveille
Il y a trois manières d’arriver au Mont-Saint-Michel : pieds nus par les grèves à partir de Genêts, près du Bec d’Andaine, à l’instar des pèlerins, après avoir traversé la baie (comptez 3 heures) ; à pied sur le pont-passerelle (2 km) ou bien, par la navette comme des millions de touristes que le rocher accueille chaque année (le troisième site le plus fréquenté de France).

L’enfer de 1944, à seulement 12 km
Je quittais Avranches à seulement 12 km à vol d’oiseau du Mont-Saint-Michel. Si proche, si loin ! Cette ville qui le 7 juin 1944, au lendemain du débarquement de Normandie connaissait l’enfer des bombardements. Qui parle encore de cette Percée d’Avranches ? Peut-être un monument place Patton et son char de 30 tonnes, un ossuaire allemand, un cimetière américain et cette chapelle qui commémore la fameuse Cote 314 à Mortain-Bocage et l’héroïsme des forces américaines. Une question me taraude face au nouveau pont-passerelle enjambant la baie : que purent ressentir en s’engageant sur l’ancienne digue, cette poignée de journalistes anglo-américains venus en éclaireur, le 31 juillet 1944 sur le Mont-Saint-Michel juste libéré de l’ennemi ; et ces deux autres correspondants de guerre mondialement connus ? Etait-ce une halte détente pour l’écrivain Ernest Hemingway et le photographe Robert Capa chez la Mère Poulard. Il est vrai, elle compta également à cette époque parmi ses hôtes, Winston Churchill et le maréchal Montgomery. Mais La Mère Poulard, c’est la France devait s’exclamer plus tard le célèbre cuisinier Paul Bocuse, alors !

Ce Grand Degré qui mène à l’abbaye
Il est 11 h, j’ai rendez-vous avec Isabelle Le Dorner, la chargée de communication de l’abbaye (Centre des Monuments Nationaux), au point de contrôle, en haut du Gouffre après avoir gravi les 350 marches du Grand Degré. Le Gouffre n’est autre que cet escalier calé entre l’église et les logis abbatiaux qui prolonge le Grand Degré. Il est très abrupt et les pèlerins le montaient en procession. Sous les deux tours du châtelet, il donne accès à l’abbaye.

La statue de l’archange à 160 m au-dessus des grèves
Tout en bas, la foule est déjà dense. De la grève, il faut passer l’ancien Corps de Garde des Bourgeois, face aux canons (là où se trouve l’Office de Tourisme). C’est là que les étrangers et les pèlerins étaient fouillés avec obligation de déposer leurs armes ou leurs bâtons ferrés ; puis c’est la porte du Roy et son pont-levis. Devrais-je faire abstraction du caractère trop citadelle du Mont-Saint-Michel, souvent assiégée mais jamais prise (les anglais pendant la guerre de Cent Ans et les réformés durant les guerres de Religions*) ; oublier la prison qu’il fut (une bastille des mers) et n’avoir d’yeux que tout là-haut, pour l’abbaye, la Merveille (construite au nord de l’église abbatiale au début du XIIIe siècle), un extraordinaire ensemble dominé par la flèche néo-gothique en cuivre culminant à 160 m au-dessus des grèves et couronnée par la statue dorée de l’archange Michel. Me faudrait-il également gommer le grand bazar de la rue centrale (il a toujours existé depuis les pèlerins) où se concentrent hôteliers, restaurateurs et marchands de souvenirs ; cette Grande Rue plus ou moins dédiée à la Mère Poulard, bordée de maisons certaines très anciennes aux façades à pan de bois et couvertes d’essentes (bardeaux) de châtaignier.
*Le Mont-Saint-Michel, une citadelle souvent assiégée mais jamais prise. Aucun ennemi ne réussit à franchir les portes du Mont-Saint-Michel, du premier siège, en 1091 par deux des fils de Guillaume le Conquérant alors que le troisième, Henri Beauclerc futur Henri Ier s’y était réfugié. Puis les Anglais installés sur Tombelaine depuis 1356, qui assiégèrent le Mont de 1423 à 1450, établissant un blocus par terre et par mer. Et malgré l’incendie du village, ses habitants en 1434 repoussèrent un dernier assaut anglais pourtant avec artillerie et machines de guerre. Enfin en 1591,98 protestants menés par Gabriel de Montgomery y pénétrèrent mais furent égorgés un à un dans les étages inférieurs de la Merveille, à l’emplacement du cellier trahis par un garde qu’ils pensaient avoir acheté pour les faire entrer. D’ailleurs, l’invincibilité du Mont-Saint-Michel, n’est-elle pas symbole de la protection divine sur le Royaume de France ?

Le Mont-Saint-Michel, son église paroissiale et son minuscule cimetière
Mais dans ma longue montée vers l’abbaye, obligation est faite de m’arrêter dans l’église Paroissiale (XVe et XVIe siècles) dédiée à Saint-Pierre, patron des pêcheurs. Accolé à l’édifice, son minuscule cimetière* (eh oui, le Mont-Saint-Michel est aussi un village qui compte 90 âmes !). De ces deux terrasses de tombes, Dieu que la vue sur la baie est splendide ! Y reposent, deux figures emblématiques et contemporaines du rocher : le père Bruno de Senneville (frère Romuald), moine bénédictin de l’abbaye du Bec Hellouin qui en 1965 réinstalla une communauté bénédictine sur le Mont et la « Mère » Annette Poulard (1851-1931) célèbre dans le monde entier pour son omelette.
*Les restes de l’ancien cimetière abandonné au milieu du XIIIe siècle, à la suite de l’édification de l’enceinte fortifiée, furent retrouvés en 2016 lors de travaux effectués sous la rue principale.

II/ 1300 ans d’histoire pour raconter le Mont-Saint-Michel
Mais passons les lieux communs, oublions le temps et l’emphase de certains guides pour ne voir que le sanctuaire, l’abbaye, la merveille des merveilles l’une des abbayes les plus célèbres de la chrétienté, posée là sur son roc de granit au milieu des sables d’une vaste baie. De cette abbaye, Isabelle Le Dorner en a presque toutes les clés. Elles ouvrent les endroits les plus secrets et les plus spectaculaires. C’est plus de 1300 de son histoire qu’on va parcourir au hasard des cryptes, des chapelles des salles et des terrasses les plus secrètes.
A l’origine, un simple oratoire comme à Tombelaine
À l’origine, vers l’an 700, ne se dressait là qu’un simple oratoire, tel celui qui exista sur le rocher jumeau de Tombelaine, à quelques toises du Mont (aujourd’hui réserve ornithologique). Il avait été bâti par l’abbé Bernard en 1137, en l’honneur de la bienheureuse Vierge Marie. Nombreux étaient alors les pèlerins, de retour du Mont à s’y arrêter considérant comme un devoir d’aller s’agenouiller, ne fût-ce qu’un instant entre deux marées, devant un autel où brûlait une lampe perpétuelle qui ne s’éteignit qu’à la Révolution.
Le Mont-Saint-Michel né de l’effroyable séisme de 709
Ce mont dont la tradition voulait qu’il fût le refuge des trépassés, était appelé Mont-Tombe. C’était un îlot de granit étrangement isolé qui s’élevait au-dessus d’une plaine recouverte par l’épaisse forêt de Scissy. Elle s’étendait des îles Chausey jusqu’à Brocéliande, la forêt de Merlin l’Enchanteur. Mais tout fut emporté un beau jour de mars 709 lors d’un cataclysme où se synchronisa une grande marée, une effroyable tempête et un raz-de-marée (on dirait aujourd’hui un tsunami !) faisant suite à un séisme, le plus ancien répertorié qu’ait connu la Normandie*. Son intensité, impossible à dire ! Son épicentre se situerait près de Jersey. Il toucha toute la baie du Mont-Saint-Michel, la presqu’île du Cotentin ainsi que les îles Anglo-Normandes. Et c’est ainsi que ce bout de rocher se retrouva perdu dans une immense baie.
*Phénomène sismique fidèlement rapporté par la légende contant les invasions normandes.
Les apparitions faites à Aubert, évêque d’Avranches
En 708, l’archange saint Michel serait apparu trois fois de suite à Aubert, évêque d’Avranches*, lui demandant de construire un oratoire sur le rocher. Cette première chapelle sera quelque temps gardé par une communauté de chanoines logeant sur le mont Tombe dans des cabanes individuelles. Des émissaires sont envoyés au sanctuaire italien de l’archange, le Monte Gargano, pour en rapporter des reliques. À leur retour, les forêts qui ceinturaient le Mont ont disparu et la mer cerne le rocher de toutes parts. Un village s’y est installé, l’îlot étant devenu un abri sûr contre les raids vikings. Le temps passe, les frontières se figent : Le Mont-Saint-Michel marque à l’ouest celle du duché de Normandie.
* La relique du « chef de saint Aubert », crâne percé d’un trou (le doigt de l’archange) est aujourd’hui visible dans le trésor de l’église Saint-Gervais d’Avranches.

Dès 966, le duc de Normandie commandite la fondation d’une abbaye
En 966, Richard Ier, troisième duc de Normandie, pour étendre son influence, commandite la fondation d’une abbaye et fait venir douze moines bénédictins de Saint-Wandrille avec le projet de construire une église abbatiale, un scriptorium, un cloître, une bibliothèque et des bâtiments conventuels (réfectoire, dortoir…). Ils resteront sur le Mont pendant plus de 800 ans. En s’y installant, ils trouvèrent sur le rocher l’église préromane Notre-Dame-sous-Terre. On a tout lieu de penser qu’elle avait remplacé une grotte artificielle, non au sommet du rocher mais sur son flanc nord-ouest imitant la grotte du sanctuaire du Mont Gargan selon la Revelatio ecclesiae sancti Michaelis, source unique de tous les récits de la fondation du Mont-Saint-Michel.
Notre-Dame-sous-Terre, l’édifice le plus ancien et le plus vénérable du mont
Notre-Dame-sous-Terre, église préromane à double nefs terminées chacune par deux petits sanctuaires ne fut redécouverte qu’à la fin du XIXe siècle ayant été enfouie sous des constructions postérieures. On doit à l’architecte Yves-Marie Froidevaux (1957-1983) de l’avoir dégagée en détruisant le mur de soutènement construit par les mauristes (voir plus bas) sous les 500 tonnes de la façade de l’église abbatiale de 1784 ; mur qui fut remplacé par une poutre en béton. Aujourd’hui, Notre-Dame-sous-Terre s’étend sur une surface de 13 m sur 11. C’est l’édifice le plus ancien et le plus vénérable du mont, le cœur même de l’abbaye puisqu’il se situe à l’emplacement du sanctuaire d’Aubert (dont il ne reste rien).

III/ Cette abbatiale où roman et gothique jouent l’harmonie
A partir du XIe siècle, Notre-Dame-sous-Terre, église primitive (dont on gardera les bases préromanes) sera remplacée par l’abbatiale à l’extrême pointe du rocher (emplacement traditionnel des sanctuaires sous le vocable de Saint Michel*). Le chantier s’échelonnera entre 1023 et 1080 et dont les débuts coïncident avec le mariage de Richard II et Judith de Bretagne, au Mont, aux alentours de 1017. Elle sera alors assez spacieuse pour accueillir l’importante communauté bénédictine (une cinquantaine de moines) et les nombreux pèlerins venus prier l’archange. Mais que de difficultés ! Comment faire tenir une église de 80 m de longueur en forme de croix latine sur un emplacement aussi étroit ?
* Les sites dédiés à l’archange Saint Michel sont des lieux élevés. Pour ce « prince des armées célestes », victorieux contre le mal incarné par le dragon, les sites qui lui sont dédiés sont toujours des lieux élevés. Faut-il rappeler qu’il est le chef des anges. Et, n’est-ce pas lui qui au moment du Jugement dernier, sonnera sa trompette pour réveiller les morts et qui conduira les élus au paradis (de cette croyance vient le nom Chemins du Paradis donné à ceux qui menaient au Mont). Les moines irlandais ont eux aussi édifié un sanctuaire au sommet d’une île escarpée, Skellig Michael, à l’ouest de la péninsule Iveragh dans le comté de Kerry.
*La statue de l’archange Saint Michel le représente terrassant le dragon incarnant le mal. Elle est l’oeuvre d’Emmanuel Frémiet qui travailla avec Viollet le- Duc au château de Pierrefonds. Elle a été réalisée en 1894. Elle mesure 4,5 m de haut pour 410 kg. En 2016, ayant fortement souffert de la foudre et des intempéries, elle a été déposée et restaurée après avoir été endommagée par des impacts de foudre, notamment au niveau de la pointe de l’épée qui sert de parafoudre.

D’où vient l’argent pour la construire ?
L’ampleur d’une telle construction nécessite d’énormes apports d’argent tirés de la générosité des pèlerins mais surtout des revenus que perçoit l’abbaye de ses vastes propriétés. En faire le décompte est impressionnant. Les plus anciennes sont autour de la baie (Genêts, Huisnes et Ardevon) mais aussi en Bretagne et dans le Maine. Le XIe siècle marquera l’apogée des biens détenus par l’abbaye. Cette générosité est due aux ducs de Normandie et en particulier à la duchesse Gonnor (950-1031), concubine du duc Richard Ier, qui donne au Mont, alors qu’elle est veuve, vers 1022, les domaines de Domjean et surtout de Bretteville-sur-Odon aux portes de Caen. A cela, s’ajoutent des biens dans les îles de Guernesey, Jersey et surtout Chausey d’où les moines tirent le granit nécessaire aux constructions (une énorme source de revenus).
Des possessions en Angleterre dont la réplique du Mont-Saint-Michel
A l’instar des abbayes normandes, le Mont-Saint Michel bénéficie de donations en Angleterre après la victoire d’Hastings gagnée par Guillaume le Conquérant en 1066, dont une incroyable réplique du Mont Saint-Michel : Saint Michael’s Mount, presque aussi haut mais en 7 fois plus petit et lui aussi entouré d’eau à chaque grande marée. Il est situé en face de l’extrême pointe des Cornouailles, sur les côtes sud-ouest de la Grande-Bretagne dans la baie de Penzance. En 1134, Bernard du Bec (qui fut moine bénédictin à l’abbaye du Bec Hellouin en Normandie), connu sous le nom de « Bernard le Vénérable » et treizième abbé du Mont Saint-Michel, de 1131 à 1149, y fonda un prieuré. A noter qu’en 1137, il fondait également l’église et le prieuré de Tombelaine (l’îlot voisin situé à 3 km du Mont-Saint-Michel)* pour y vénérer la Vierge sous le nom de « Notre-Dame-de-la-Gisante ».
*L’îlot de Tombelaine à part quelques traces de fortifications est vide de toute construction. Avec ses 4 ha de surface et son pic de la Folie qui s’élève à 45 m au-dessus de la mer, il est aujourd’hui une réserve ornithologique.

De la terrasse de l’Ouest, une vue grandiose sur la baie
Mais d’abord, avant de commencer la visite, pourquoi ne pas se prendre un bon bol d’air, celui du grand large en cette belle matinée d’été ? On est sur la vaste terrasse ouest qui sert de parvis à l’église abbatiale. C’est là, paraît-il l’un des plus beaux points de vue des côtes bretonnes et normandes ; un panorama grandiose sur la baie qui va de la pointe de Champeaux en Normandie à la pointe du Grouin en Bretagne. Par temps clair me dit Isabelle, il est possible de voir jusqu’aux îles Chausey d’où vient le granit qui servit à la construction de l’abbaye. Cette plate-forme qui servira plus tard de promenoir aux prisonniers a été considérablement agrandie quand la façade de l’église fut reconstruite en 1780 par les bénédictins. Un incendie très récurrent sur le Mont l’avait détruite, amputant la nef de ses trois premières travées ainsi que la partie contiguë du dortoir des moines et la tour romane de la façade sud-ouest. Près du porche primitif, deux pierres tombales indiquent les lieux de sépulture de Robert de Torigni, le grand abbé bâtisseur de l’abbaye (1154-1186) et de son successeur, Martin de Furmendi.




3 cryptes pour soutenir cette immense abbatiale
Incroyable ! Pénétrer dans cette superbe abbatiale alors que se prépare la grande messe du pèlerinage des grèves de juillet, fait prendre conscience combien la cohabitation des deux styles de l’église (roman et gothique) représente ici une homogénéité presque harmonieuse ! Mais rien sur le Mont ne fut gagné d’avance. Avant d’atteindre un tel achèvement, combien d’échecs, d’incendies, d’effondrements, de reconstructions, de consolidations ? Dès le départ, il fallut aux bâtisseurs beaucoup d’imagination, de génie pour pouvoir récupérer la pente du rocher en édifiant 3 cryptes : la crypte des Gros Piliers, la première à l’est pour soutenir le chœur (huit piliers de presque 6 m de circonférence) et les 2 autres pour former les soubassements du transept ; deux cryptes du XIe siècle, Saint-Martin pour le transept méridional et Notre-Dame-des-Trente-Cierges pour le transept nord dont le nom rappelle les trente cierges qui brûlaient pendant la messe après l’office de Prime.

Le chœur, stupéfiant chef-d’œuvre du gothique flamboyant
Quant à la partie occidentale de la nef, il fallut renforcer et prolonger Notre-Dame-sous-Terre (qui devait soutenir ses trois travées occidentales). Mais cette édification bien téméraire et tout en hauteur entraîna de graves problèmes de stabilité au point que le chœur roman s’effondra en 1421, pendant la guerre de Cent Ans. La croisée du transept située au centre du rocher, et fragilisée par la disparition du chœur roman, fut entièrement reconstruite à la fin du XIXe siècle (ainsi que la tour et la flèche qui la surmontent). En revanche, les deux bras du transept sont bien du XIe siècle ainsi que les 4 travées de la nef sur les 7 (les trois premières ayant été abattues à la suite de l’incendie), tous, de pur style roman. En contraste, le chœur à déambulatoire avec ses cinq chapelles rayonnantes et ses voûtes à 25 m du sol offrent un impressionnant sentiment d’élancement. C’est l’expression la plus belle du gothique flamboyant. A cela s’ajoute son élévation sur trois niveaux : en bas, de grandes arcades ; au centre, la galerie d’un triforium ajouré par de nombreux vitrages (fait exceptionnel, il contourne les piliers du chœur afin de permettre le percement de fenêtres supplémentaires) et tout en haut, de larges fenêtres hautes qui occupent toutes les surfaces. Légèreté et verticalité ! Ici, en effet, l’architecture gothique a atteint son apogée. Bien évidemment, pour soutenir cet ensemble, il fallut mettre en place un classique système d’arcs-boutants, à double volées, soutenus par d’imposantes culées autrefois surmontées d’anges soufflant dans des trompettes. L’élévation du chœur commencée dès 1446 dura près d’un siècle. Ce fut le dernier grand chantier entrepris au Mont. Il est l’œuvre du cardinal d’Estouteville (abbé du Mont de 1444 à 1483).

Sur les toits vertigineux du choeur
En utilisant ses clés, Isabelle Le Dorner m’ouvrira ce qui n’est pas accessible au public (sauf dans le cadre des visites-conférences) : l’église préromane Notre-Dame-sous-Terre, la crypte Notre-Dame-des-Trente Cierges, la salle de l’Aquilon du XIe et XIIe siècles (salle qui permettait à l’abbé d’exercer ses prérogatives de seigneur féodal ; elle possède d’ailleurs deux cachots appelés « jumeaux ») …



Monter jusqu’au ciel de l’archange par l’escalier de Dentelles
Mais commençons par le plus spectaculaire, une incroyable balade sous les arcs-boutants situés sur le toit terrasse du chœur de l’église abbatiale. Ce n’est pas tout. En persévérant dans l’ascension, on atteint l’escalier. Tout semble fait pour le rendre plus impressionnant : exiguïté des lieux, vertige assuré, fragilité de la construction établie sur un arc boutant du chœur, c’est le fameux escalier de Dentelles appelé ainsi à cause de ses garde-corps flamboyant. Il a été rouvert après 10 ans de fermeture. Il mène à une sorte de coursive étroite à la base d’une impressionnante toiture d’ardoises de Corrèze. De là, à travers un alignement de pinacles, on découvre une vue à couper le souffle : la baie dans sa totalité et l’horizon dans son infinité.



(L’abbaye propose chaque semaine à une dizaine de personnes, un circuit, baptisé : un dimanche dans le ciel de l’archange).
IV/ La Merveille, une prouesse esthétique et technique construite en 24 ans, un record !
Avec l’abbé Robert de Torigni (XIIe siècle), l’abbaye n’a jamais été aussi rayonnante. Grâce aux généreuses donations de Guillaume le Conquérant, trois étages de bâtiments conventuels sont élevés au nord de la nef. Au XIIe siècle, époque du royaume anglo-normand, le monastère connaît son apogée. De 1154 à 1186, Robert de Torigni est élu abbé du Mont Saint- Michel. Cet ami d’Henri II Plantagenêt, à la fois historien et diplomate, sera le grand abbé bâtisseur. C’est sous son abbatiat que s’achèvent les dernières constructions romanes, incroyable imbrication de bâtiments tant verticaux que horizontaux. L’abbaye lui doit aussi son immense rayonnement dans le monde anglo-normand. Le scriptorium* des moines, écrit dans le style si particulier de l’école anglo-saxonne (lettres ornées et miniatures en pleine page), est célèbre dans toute la chrétienté ; Il est depuis la Révolution conservé à la bibliothèque municipale d’Avranches (voir le Scriptorial, musée qui recèle les 4000 volumes sortis des ateliers de l’abbaye du Mont-Saint-Michel).
*L’abbaye et son scriptorium était alors connue pour détenir l’une des plus belles bibliothèques ecclésiastiques de l’Occident médiéval avec quelques 70 manuscrits, des incunables, des livres imprimés…). L’université de Caen vient de les numériser. Ils peuvent être feuilletés sur internet.

La redoutable puissance des bénédictins au service des capétiens
À l’avènement de Philippe Auguste, rien ne semble plus s’opposer à la rapide et spectaculaire montée en puissance des Capétiens, face notamment aux Plantagenêt. Le roi de France s’empare successivement de la Normandie, du Maine et de l’Anjou, ne laissant à Jean sans Terre que le Bordelais, le Béarn et le Comminges. Ce début de XIIIe siècle sous domination française signifie ruine pour Le Mont Saint-Michel : les incendies de 1203 n’épargnent que les bâtiments conventuels, la crypte d’Aquilon, l’infirmerie, le dortoir. Mais ce malheur sera compensé par les libéralités du vainqueur, puisque Philippe Auguste, désireux de s’appuyer sur la redoutable puissance des moines bénédictins, entreprend la reconstruction et la fortification de l’abbaye.
La Merveille, spectacle hallucinant !
Quelle incroyable reconstruction qui culminent à 35 m de hauteur, épaulée par seize puissants contreforts ! On assiste à un spectacle hallucinant : sur la face nord du mont, les bâtiments s’accrochent les uns après les autres à la pente incertaine du rocher et s’agencent en étages, soutenus par de gigantesques contreforts. Ainsi, sur la face orientale, de la crypte abritant l’aumônerie tout en bas, passe-t-on à la salle des Hôtes réservée à l’accueil des pèlerins de marque jusqu’au sommet occupé par le réfectoire des moines achevé dès 1217. La partie occidentale voit le cellier surmonté par la salle des Chevaliers et tout en haut, comme suspendu entre ciel et terre, le cloître achevé en 1228.
Une Merveille qui ne fut jamais achevée
Cette prouesse esthétique et technique incomparable pour l’époque, cette splendeur construite en 24 ans (de 1204 à 1228) à partir de ruines et qu’on appellera plus tard, la Merveille ne fut en fait jamais achevée faute de moyens. Le projet initial prévoyait en effet un troisième bâtiment dans la continuité des autres. Il devait abriter trois autres salles, dont une salle du chapitre donnant sur le cloître. D’ailleurs, les trois baies du mur occidental du cloître, fermées par un vitrage depuis le XIXe siècle auraient donné accès à la salle capitulaire. Mais cette vue incroyable sur la baie à partir du cloître (une des grandes attractions des visiteurs) est une hérésie. Une telle ouverture sur le monde depuis un lieu si symbolique que le cloître était contraire aux principes mêmes de l’ordre bénédictin.

Ici, chacun tient sa place à l’image de la société médiévale
Rien dans l’élévation de la Merveille et dans sa hiérarchisation n’a été laissé au hasard. Ainsi retrouve-t-on dans cette construction, l’ordre social de la société médiévale.
1/ Tout en bas : les pauvres avec l’aumônerie (XIIIe siècle). C’est une pièce de 35 m de long divisée en deux nefs (elle abrite aujourd’hui, la billetterie de l’abbaye). Elle a remplacé la salle de l’Aquilon trop exiguë pour l’accueil des pèlerins les plus pauvres (une sorte de soupe populaire). La règle de Saint Benoît précisait qu’il fallait leur apporter un soin attentif parce qu’en eux le Christ est reçu davantage (Règle chapitre 53). Une salle qui se voulait avant tout pratique avec un passe-plat creusé dans l’épaisseur du mur pour descendre de la cuisine la nourriture que les moines partageaient avec les pauvres. A noter également la présence de deux vide-ordures. Pour les visiteurs d’aujourd’hui, voyez dans cette salle, le plâtre original du Saint Michel terrassant le dragon utilisé comme modèle de la statue en cuivre qui couronne la flèche du Mont-Saint-Michel installée en 1897.
2/ Au deuxième niveau : la salle des hôtes (du XIIIe siècle) réservée aux pèlerins prestigieux. Cette salle voutée en croisée d’ogives et séparée en deux nefs par une rangée de fines colonnes était située hors de la clôture. Il s’agissait d’assurer le confort des hôtes de marque avec de grandes cheminées, des latrines discrètes, des cuisines et une salle à manger. Y furent reçus par l’abbé, plusieurs rois de France (Saint Louis, Philippe IV le Bel, Louis XI, François 1er).

3/ Et tout en haut : le réfectoire des moines (du XIIIe siècle). Il communique avec le cloître. Il est sans doute la plus remarquable salle de la Merveille aux jeux de lumière très douce apportée par ses 59 fenêtres. Prouesse technique puisque cette salle à vaisseau unique, couverte d’une charpente lambrissée d’une grande portée et à l’acoustique sans égal *est construite de murs à la fois solides et exceptionnellement lumineux (impossible en effet à cette hauteur d’envisager des contrebutées). Autre détail, le réfectoire n’était pas chauffé.
*L’anagnoste y lisait recto tono la vie des saints tandis que les moines prenaient leur repas en silence.

Cette Merveille qui sut séparer dans son élévation, le corps, l’esprit et l’âme
Cette hiérarchisation s’applique aussi à l’homme dans l’édifice occidental avec une séparation entre le corps, l’esprit et l’âme.
1/ Le cellier (du XIIIe siècle) métaphore du corps. Avec ses trois nefs, il communique directement avec l’aumônerie. C’est une construction plus rudimentaire. Tout ici a été conçu pour conserver les provisions de la communauté et de ses hôtes. Le cellier doté d’étroites fenêtres côté nord restait constamment sombre et frais. Les vivres arrivant par la mer étaient montés jusqu’au cellier au moyen d’une grande roue. C’est précisément là que les soldats protestants de Montgomery en 1591 (pendant les guerres de Religions) furent hissés avec cette roue pour envahir le Mont. Mais trahis, ils furent un à un massacrés au rez-de-chaussée de la Merveille. En 2014, le cellier a été transformé en librairie.
2/ Au deuxième niveau : la salle des Chevaliers*, composante de l’esprit. Avec une architecture tout en légèreté et en délicatesse, était-elle la salle d’étude (l’intellect), le scriptorium ou tout simplement le chauffoir grâce notamment à ses deux grandes cheminées ? En tout cas, c’est un espace magnifique rappelant l’art normand du XIIIe siècle avec ses quatre nefs dont les voûtes, tout un symbole, soutiennent le cloître. Cette salle avait la particularité (important pour les copistes) d’être bien éclairée grâce aux nombreuses fenêtres du mur nord et à la grande baie du mur ouest. Détail qui a son importance pour ces hommes qui devaient passer de longues heures à leur table, la présence de latrines aménagées entre les contreforts extérieurs !
*Salle des chevaliers, nom donné à cette salle pour rappeler la fondation en 1469, au château d’Amboise de l’ordre des chevaliers de Saint-Michel par Louis XI.
3/ Au sommet : le cloître entre ciel et mer comme le reflet de l’âme.
V/ Le cloître suspendu entre ciel et mer
Le cloître est le chef d’œuvre absolu du XIIIe siècle, la transition entre l’espace terrestre et l’espace céleste. Il est situé à 80 m de hauteur, entre ciel et mer, tel “un jardin de Babylone ». C’est là que les moines pouvaient s’isoler et « ruminer » la parole de Dieu. Le cloître est au chœur de l’abbaye, de plain-pied avec l’abbatiale. Pour cela, au Mont-Saint-Michel, il fallut l’élever au troisième niveau de la Merveille, en s’appuyant sur les voûtes de la salle des Chevaliers, elle-même établie sur le cellier. Aujourd’hui, il a été entièrement restauré pour en assurer son étanchéité et redonner aux sols des galeries autour du jardin, leur véritable hauteur (ils ont été baissés jusqu’à 25 cm pour se rapprocher du niveau d’avant le XIXe siècle).

Une impression d’infini circulaire
Les 137 fines colonnettes disposées en quinconce et reliées par de petits arcs diagonaux supportent un feuilleté de fines voûtes sculptées dans une sorte de mouvement ininterrompu (une impression d’infini circulaire !). La plupart de ces colonnettes ont été refaites au XIXe siècle en poudingue pourpré de La Lucerne dans la Manche (la partie supérieure du mur est en pierre de Caen). Elles sont aujourd’hui entièrement nettoyées. Tout ici est légèreté jusqu’aux galeries du cloître couverte d’un berceau lambrissé en bois. Et cette ouverture sur la baie (depuis la fin du XIXe siècle), ce cloître tout ouvert sur les mouvements du ciel et sur les reflets de la mer selon la formule de Georges Duby associe d’une manière presque intime, la spiritualité d’un monde clôt, aux mouvements perpétuels de cette immense baie. Ecoutons ce qu’a pu en écrire le normand Guy de Maupassant (Notre Cœur, roman paru en 1890) : puis ils arrivèrent au cloître. Leur surprise fut telle, qu’ils s’arrêtèrent devant ce grand préau carré qu’enferme la plus légère, la plus gracieuse, la plus charmante des colonnades de tous les cloîtres du monde. Sur deux rangs, les minces petits fûts coiffés de chapiteaux délicieux portent, tout le long des quatre galeries, une guirlande ininterrompue d’ornements et de fleurs gothiques d’une variété infinie, d’une invention toujours nouvelle, fantaisie élégante et simple des vieux artistes naïfs, dont le rêve et la pensée creusaient la pierre avec leur marteau. (Citation relevée par Philippe Bélaval, Président du Centre des monuments nationaux).

Quand les pieds des moines étaient lavés à l’eau tombée du toit
Et si vous vous approchez de la porte du dortoir (galerie méridionale), vous verrez les deux niches de l’armarium qui servaient au dépôt des livres de prières, et contre le mur du transept, les bancs du lavabo. C’est là que l’abbé chaque Jeudi saint lavait les pieds de 12 moines comme le Christ le fit pour ses apôtres et comme le faisait à tous ses frères, chaque samedi, les semainiers de cuisine conformément à la règle de saint Benoît (Il leur lavera les pieds, lui qui sort de semaine, aidé de celui qui doit y entrer). D’où venait l’eau ? Les récents travaux ont permis d’en savoir plus sur le “système très complexe” de récupération de l’eau de pluie sur les toits du cloître utilisée au XIIIe siècle pour la cérémonie hebdomadaire du lavement des pieds.
Le jour où le cloître refleurira !
Une déception, le jardin du cloître qui avait été rétabli en 1965 n’est aujourd’hui que engazonné. Je relis ce qu’écrivait Dom Thomas Le Roy en 1649 : le préau du cloître est couvert de plomb et sur iceluy de la terre où sont plantés des bouis (buis) et quantité de belles fleurs. On attend donc dans ce jardin suspendu, son décor végétal : des fleurs, des plantes médicinales… Peut être le printemps prochain !
VI/ Décadence des bénédictins : coupable, la commende
A l’apothéose du Mont-Saint-Michel, succède le déclin de l’ordre monastique. A l’achèvement du chœur gothique de l’abbatiale correspondra la décadence de l’ordre bénédictin due au système pervers de la commende. Jean de Lamps fut le dernier abbé régulier élu par les moines (selon la règle de Saint Benoît*) du Mont-Saint-Michel. A sa mort, le 4 décembre 1523, François 1er va imposer comme aux autres aux ordres monastique la mise en commende de l’abbaye. L’abbé sera nommé par le roi (des abbés souvent absents et cupides) et le Mont-Saint-Michel deviendra une simple source de revenus pour le royaume et surtout pour les favoris du roi ce qui entraîne de facto, la ruine de l’abbaye par manque d’argent pour son entretien. Jean le Veneur, un des conseillers du roi, évêque de Lisieux et candidat au poste de cardinal fut donc le premier abbé commendataire de l’abbaye du Mont-Saint-Michel, de 1524 à 1543. Quand au tout dernier, il fut désigné par Louis XVI, à la veille de la Révolution, le 2 mai 1788. C’était le cardinal (nommé un an plus tard), Louis-Joseph de Montmorency-Laval alors qu’il était déjà évêque de Metz et grand aumônier de France. Son destin fut sans doute moins tragique que celui de sa cousine Marie-Louise de Montmorency-Laval, dernière abbesse de Montmarte qui fut guillotinée le 24 juillet 1794 à Paris malgré son âge et ses infirmités (elle était sourde, aveugle et grabataire).
* La règle de Saint Benoît impose la libre élection de l’abbé par la communauté. Mais déjà, les ducs de Normandie avaient presque tous essayé d’interférer dans ces élections en cherchant à y placer leurs favoris.
Pour abbé, un nourrisson
En 1622, avec l’arrivée de douze jeunes moines bénédictins de l’ordre de Saint-Maur*, on assiste à la renaissance de l’ordre bénédictin. En s’y installant après d’âpres négociation, ils trouvèrent la communauté tout comme l’abbaye dans un piteux état. Pour ce triste constat, il suffit de se référer au rapport rendu par Pierre de Bérulle, supérieur général de l’Oratoire de France et chargé de l’administration de l’abbaye. Pour cause, lorsque meurt l’abbé commandataire François de Joyeuse, il est remplacé en 1615 par l’un de ses neveux, un nourrisson âgé d’un an, quatre mois et dix-neuf jours.
*La congrégation de Saint-Maur, née en Lorraine en 1618 après le concile de Trente, regroupe la majorité des abbayes bénédictines de France. A une époque où la spiritualité est troublée par la Réforme protestante de Luther puis de Calvin, les moines de l’ordre mauriste auront pour mission de redonner à la vie monacale sa pleine signification. Ils réaffirmeront dans toutes les communautés l’idéal bénédictin, et surtout l’autorité et l’indépendance ecclésiastique fortement mises à mal par la commende.
Des moines qui vivent maritalement et fréquentent les tripots
Plus grave encore, Pierre de Bérulle va révéler dans son rapport que les offices ne sont plus assurés, que les moines vivent maritalement en dehors de l’abbaye et qu’ils fréquentent les tripots du village sachant que la clôture monastique évidemment n’est plus respectée et que les reliques sont délaissées. La nouvelle communauté s’installe donc dans les bâtiments abbatiaux avant d’aménager les salles de la Merveille (le réfectoire devient dortoir et la salle des Hôtes, réfectoire). Mais quelle ironie ! Ces jeunes moines tout pétris de la règle de Saint Benoît devront cohabiter avec les 16 anciens qui pour viatique recevront une rente à vie !
VII/ Le Mont-Saint-Michel aux temps des prisons
Le Mont-Saint-Michel aurait-il été « embastillé » contre sa volonté ? Les moines seraient-ils devenus des « garde-chiourmes » ? Le terme est un peu fort mais la réalité veut qu’ils aient joué grosso modo ce rôle non pour la rédemption des pécheurs mais plus prosaïquement pour des raisons financières.
De place forte militaire* qui avait été sérieusement renforcée à l’approche de la guerre de Cent Ans notamment par un châtelet, l’abbaye devient bientôt prison, par la volonté de Louis XI, roi dévot et superstitieux, dont le Mont est un de ses lieux de pèlerinage favoris. Une fois l’unité territoriale retrouvée, ce roi, que l’historien Philippe de Commynes décrit comme une « universelle aragne » (araignée), choisit en effet d’y enfermer les opposants à sa politique dès 1472. Doute-t-il encore de la sécurité des lieux pour y faire installer ses fameuses cages de fer ? Des détails ? Lisez la suite et le tragique destin de l’écrivain Dubourg, un hôte très particulier des moines !
* Le Mont-Saint-Michel place forte militaire. Il le fut jusqu’à 1889 et son déclassement militaire. Cette place forte avait été pour la dernière fois renforcée et modernisée en 1756 et 1757 pour prévenir une attaque de la flotte anglaise.
Bastille à Paris ou Bastille des mers en Normandie ? Un sacré revenu pour les moines !
Ces cages de fer ou « fillette » chère à Louis XI étaient suspendue à une voûte, ce qui fait que le prisonnier dans un isolement le plus complet subissait un balancement incessant (une véritable torture !) qui conduisait souvent à la folie. Elles seront utilisées jusqu’au XVIIIe siècle pour enfermer les victimes des fameuses lettres de cachet. Ainsi, ce malheureux Victor de la Cassagnes (dit Dubourg) qui mourut à la suite d’une grève de la faim (déjà !) dans l’une de ces cages, sur ordre de Louis XV, après un an d’enfermement. C’était le 26 août 1746. Dubourg, homme de lettres était coupable d’avoir écrit une satire, Le Mandarin chinois (ou L’Espion chinois), sous forme de lettres hebdomadaires, sorte de chronique scandaleuse des monarques de l’Europe.
Grand et petit exils
Le mont-Saint-Michel devint ainsi une alternative à la Bastille dont les moines qui avait transformés les logis abbatiaux en Grand et Petit exils (en tout, une quarantaine de geôles) en tiraient de substantiel revenus qui allèrent apparemment croissant puisqu’à la veille de la Révolution. Les registres font pourtant état en juillet 1789, d’un faible taux d’occupation : seules sept d’entre elles étaient occupées, dont quatre par des déments et trois par des religieux en punition disciplinaire.
La Révolution y enferme les prêtres réfractaires et la Restauration, ses prisonniers politiques
La sinistre tradition qui consista à y enfermer les victimes des lettres de cachet, sous la bonne garde des moines se maintiendra jusqu’au XVIIIe siècle, et même au-delà. La réputation de l’abbaye est telle que la Révolution, qui chasse les derniers moines, rebaptise le lieu Mont-Libre pour y emprisonner aussitôt quelques centaines de prêtres réfractaires. Ils étaient 300 en novembre 1793, venant des départements voisins lorsque les Vendéens s’emparent du Mont. En 1800, il restait encore 150 prisonniers, chouans et droits communs confondus. Le Mont-Saint-Michel (Mont-Libre) deviendra successivement maison centrale de détention puis maison de force sous Louis XVIII accueillant maintenant des prisonniers des deux sexes condamnés aux travaux forcés ou en attente de déportation à l’image d’une autre abbaye célèbre, Fontevraud près de Chinon. L’administration va ainsi enregistrer le chiffre record de 700 prisonniers dont 80 enfants de moins de 16 ans. Besoin est donc de construire à l’entrée des Fanils, en détruisant la Tour des Pêcheurs, une caserne de soldats nécessaires à la garde des prisonniers. Les années 1832 à 1844 voient arriver les prisonniers politiques (légitimistes et républicains). Pour eux, régime spécial avec des conditions plus confortables dans les logis abbatiaux. On note des tentatives d’évasion, celle, réussie du républicain Edouard Colombat en 1835 et l’échec, 7 ans plus tard de Barbès et Blanqui qui tentèrent de prendre le large par la terrasse du Saut Gaultier.
*La fameuse roue, celle qui servait à hisser la nourriture des prisonniers. On en profita en construisant la caserne des Fanils pour aménager aussi une rampe en lacets afin de desservir le monte-charge créé sur le flanc sud de l’abbaye. Voir l’impressionnante roue située dans l’ossuaire (XIIe siècle), en dessous du Grand Degré. Elle fut installée vers 1820 pour monter la nourriture des détenus. Elle était actionnée par deux prisonniers qui, en marchant à l’intérieur, faisaient monter par un treuil un chariot chargé de la nourriture.

Période carcérale : l’atteinte faite à l’abbaye
Si la décision de transformer l’abbaye en centre pénitencier la sauva d’une destruction annoncée, elle en fut cependant profondément marquée et mutilée. Déjà les Mauristes avaient réaménagé à leur guise les édifices conventuels, mais, l’adaptation de cette abbaye à la vie carcérale fut dramatique. Il fallut entreposer des ateliers de tissage et de confection partout où on le pouvait : dans la Merveille, la nef de l’abbatiale (avec un plancher supérieur destiné à un dortoir pour les hommes) et même dans les chapelles rayonnantes du chœur (mais seul le chœur resta un lieu de culte). Le cloître devint un promenoir. Les accidents sont permanents tel cet incendie en 1834 (le douzième que connut l’histoire du Mont) qui ravagea la manufacture de chapeaux de paille installée dans la nef (d’où ces traces rougeâtre sur les murs). Certains bâtiments commençaient à s’effondrer par manque d’entretien. Insalubrité des lieux, hygiène déplorable, épidémies à répétitions, fallait-il encore d’autres plaies pour remettre en cause le statut du Mont-Saint-Michel comme établissement pénitencier ? Ajoutons-y un pied de nez de la nature. En 1856, elle eut la bonne idée de déplacer le cours de la Sélune (un fleuve de la baie) à 2 km du Mont, abaissant ainsi le niveau de la grève de 3 m. Conséquence, le Mont voyait maintenant la mer l’entourer deux fois par jour, rendant son ravitaillement hasardeux. Enfin, le coup de grâce arriva en 1863. Face à la virulente campagne menée par Victor Hugo contre l’abbaye prison, Napoléon III décidait par décret, le 20 octobre de supprimer l’établissement et de classer le Mont-Saint-Michel, monument historique. Donc, fin du cauchemar pour près de 1000 prisonniers (qui ne furent pas élargis pour autant) et fin de l’épisode prison pour cette abbaye qui dura en ce qui concerne la période post révolutionnaire, plus de 70 ans, une très longue peine assurément ! Et quel drame économique pour le village ! Il voyait sa principale source de revenus disparaître. Rassurons-nous, la manne touristique arrivait !
VIII/ Quand le Mont-Saint-Michel est redevenu une île
Digue ou pas digue ? Cette décision politique va provoquer la première déferlante touristique. Tout le Second Empire s’y rend, à pied, ou en carrioles, appelées maringottes. On y mange mal, à en croire Victor Hugo : la Mère Poulard et sa fameuse omelette ne sont pas encore arrivées … Entre 1859 et 1861, Charles Morny, qui venait de fonder la station balnéaire de Deauville, achète 4500 hectares en vue de colmater la baie. S’ensuit un débat houleux opposant adversaires et partisans de l’insularité du Mont. Parmi ces derniers, Victor Hugo, qui n’hésite pas alors à comparer Le Mont-Saint-Michel à la grande pyramide d’Égypte. En 1870, l’État tranche. Il jette les bases d’une digue insubmersible, qui ne sera ouverte qu’en 1911. Parallèlement, de gigantesques travaux de restauration sont entrepris, qui vont durer jusqu’à nos jours : construction du clocher, érection de la célèbre flèche, dégagement de l’église préromane et aménagement d’un jardin dans le cloître.
2015, fin des travaux pharaoniques (164 millions d’€) : le Mont-Saint-Michel redevient une île
Ce grand Projet environnemental de rétablissement du caractère maritime du Mont Saint-Michel qui s’est achevé en 2015, avait pour objectif de mettre en valeur les abords du Mont-Saint-Michel et renforcer son caractère spirituel, culturel et écologique. Il a permis au Mont-Saint-Michel de redevenir une île et d’offrir aux visiteurs ce que les pèlerins du Moyen Âge pouvaient entrapercevoir en traversant la baie. L’ensablement de la baie a donc été limité grâce notamment à la mise en service en 2009, du barrage sur le Couesnon (il avait été canalisé dans sa partie terminale dès 1863). Par la régulation des eaux, il redonne au fleuve suffisamment de force pour chasser les sédiments vers le large, loin du Mont. Enfin, la digue-route plus que centenaire (1879) a été remplacée par un pont-passerelle pour permettre à la mer de tourner autour du Mont.

IX/ Le retour de la vie monastique
Qui serait en droit de porter aujourd’hui (et depuis le début du XXe siècle), le titre d’abbé de l’abbaye du Mont-Saint-Michel ? Ne cherchez pas, ce n’est pas un moine Français mais un Britannique, Dom Cuthbert Brogan OSB, élu en 2006 père abbé de Saint Michael’s Abbey, abbaye bénédictine située à Farnborough dans le Hampshire au sud de Londres. L’abbaye fait depuis 1947 partie de la province anglaise de la congrégation de Subiaco (confédération bénédictine). Une charte d’octroi stipule que le père abbé de l’abbaye de Farnborough portera ce titre jusqu’à ce qu’une nouvelle communauté bénédictine se réinstalle au Mont-Saint-Michel et qu’elle réélise un nouveau père abbé (ce qui depuis, n’a jamais été le cas).
Une concession faite par l’évêque de Coutances et d’Avranches
Cette incroyable concession fut faite par l’évêque de Coutances et Avranches. Il remerciait en cela l’abbaye de Farnborough de l’aide apporté par certains de ses moines au Mont-Saint-Michel. En fait, il s’agissait de bénédictins français de l’abbaye Saint-Pierre de Solesmes contraints à exil par les lois de 1901-1905. Elles avaient entraîné la dissolution de la communauté qui trouva refuge sur l’île de Wight, au monastère de Quarr et à l’abbaye de Farnborouh. C’est de là que vinrent les moines qui assurèrent une présence spirituelle au Mont auprès des pèlerins revenus très nombreux prier l’archange Saint Michel.
* Saint Michael’s Abbey est une abbaye bénédictine de style gothique flamboyant, fondée en 1881 à Farnborough au sud de l’Angleterre par l’Impératrice Eugénie de Montijo pour recueillir les restes de Napoléon III et du prince impérial. En 1887, l’abbaye fut confiée à des moines prémontrés du Frigolet et en 1895, aux bénédictins de Solesmes. D’abord prieuré, le monastère Saint-Michel de Farnborough devint abbaye en 1903. Dans la crypte de l’abbatiale, se trouvent les sépultures de l’empereur et de sa famille. L’abbaye est à 50 km de Londres et à 34 minutes de la gare de Waterloo.
Note personnelle : cette abbaye de Farnborough m’est chère. A 18 ans, étudiant à Londres, j’occupais une chambre dans l’abbaye contre un petit travail d’entretien (jardin, église, briquer les sarcophages…). J’assurais également la visite pour les rares touristes et journalistes français qui s’aventuraient jusque-là. L’abbaye possédait un petit musée dédié à l’impératrice Eugénie. Je garde un souvenir émerveillé des concerts d’orgue donnés sur le Cavaillé-Coll de l’abbatiale. Mes pensées vont surtout à Father Wulstan mort à 99 ans en 2012 après 79 ans de vie religieuse. C’est lui qui me guida pendant ce séjour alors que j’avais son âge lorsqu’il décida de rejoindre les bénédictins de Farnborough. Etait-ce parce qu’à l’époque (1931), la communauté était encore presque entièrement française ?

1966, les bénédictins de retour pour la commémoration du millénaire

La célébration du millénaire monastique en 1966 a précédé au Mont Saint Michel l’installation d’une communauté religieuse dans l’ancien logis abbatial perpétuant la vocation première de de l’abbaye. Il s’agissait d’une petite communauté de Bénédictins venus de Saint-Wandrille et du Bec-Hellouin, conduite un temps par le père Romuald (le père Bruno de Senneville), artisan passionné de ce renouveau de la vie monastique (voir plus bas).
X/ Visiteur, que viens-tu chercher ?
Depuis 2001, les Fraternités monastiques de Jérusalem (sept sœurs et quatre frères) sont présentes au Mont.
Derrière les murs plus que millénaires, si proches de la cohorte des touristes et pourtant si loin du monde, quelques hommes et femmes vivent pour dire Dieu aux hommes et pour mener l’homme à Dieu, selon le père Delfieux, fondateur des Fraternités monastiques de Jérusalem, en 1975. Ces deux communautés religieuses, quatre moines et sept moniales, scapulaire bleu marine pour les frères, voile blanc noué sur la tête pour les sœurs, se sont installées sur le Mont, en 2001, à la demande de l’évêque de Coutances. Elles perpétuent l’œuvre entreprise il y a plus de trente ans par le père Bruno de Senneville en revenant vivre dans l’abbaye grâce à une convention signée avec l’administration des Monuments historiques. Si nous restaurons l’abbaye du Mont, c’est pour y faire revivre une communauté monastique, sinon notre entreprise n’a pas de sens, déclarait alors André Malraux. S’il est vrai que les visiteurs (ils sont plus de trois millions chaque année) ont aujourd’hui remplacé les pèlerins, les religieux fidèles à la tradition d’hospitalité accueillent ici tous ceux qui désirent faire une halte spirituelle. Aujourd’hui, les fraternités occupent une partie de l’ancien logis de la façade sud, appelé logis abbatial. Les fraternités sont locataires du Centre des monuments nationaux et n’interviennent pas dans la gestion de l’abbaye. La restauration d’une maison du Mont, le « Logis Saint-Abraham », par la communauté permet depuis octobre 2012 d’héberger des pèlerins retraitants. Les retraîtes ont une durée maximale de cinq jours (du mardi midi au dimanche après la messe). Ainsi, sept sœurs et quatre frères vivent la mission que l’Église leur a confiée : être au cœur du monde pour être au cœur de Dieu. Une vie qui s’articule autour de trois piliers que sont la prière, le travail et la vie fraternelle. Une vie qui se rapproche de celle édictée par la règle de Saint Benoît, au VIe siècle : ora et labora (prie et travaille), celle qui marqua plus de mille ans la vie monacale du rocher. Long voyage des hommes et des femmes de Dieu, dans le silence retrouvé (tout est relatif ici) d’une des plus belles abbayes du monde.

Rendez-vous avec le recteur du Mont-Saint-Michel, le père André Fournier
Le père André Fournier, recteur du sanctuaire du Mont-Saint-Michel, arrivé sur le Rocher il y a plus de 40 ans serait-il le dernier religieux d’obédience bénédictine d’une longue lignée monastique commencée il y a plus de 1000 ans ? C’est lui en effet qui succéda en 1992 au Père Bruno de Senneville (Dom Romuald) comme prieur de la communauté monastique de vie bénédictine de l’Abbaye du Mont-St-Michel. Le père Bruno, mort à l’âge de 89 ans en 2016 repose sur le Mont, à quelques mètres de là où nous sommes, dans le petit cimetière de l’église paroissiale Saint-Pierre*. Moine à l’abbaye du Bec-Hellouin, il avait été le premier prieur d’une communauté bénédictine venue se réinstaller sur place à l’occasion du millénaire du Mont. En homme seul, il va cependant assurer une présence religieuse à l’abbaye qui comptera en 1980 jusqu’à neuf religieux. Mais, en 1992, Bruno de Senneville doit quitter le Mont. La communauté ne se renouvelant pas. En 1999, le père André Fournier, alors au Mont depuis 1976, demande à l’évêque de trouver des remplaçants pour assurer la présence monastique. Les bénédictins, sollicités, font la même réponse qu’en 1969. Ils demandent que l’on s’adresse à des communautés nouvelles. Et c’est ainsi qu’en 2001, l’évêque de la Manche va faire appel aux Fraternités monastiques de Jérusalem pour prendre la relève.
*L’église Saint-Pierre est aussi l’église du Sanctuaire de l’Archange saint Michel depuis dix siècles dont la statue trône dans la chapelle latérale. Elle est aussi le siège officiel du centre de pèlerinage.

Recteur du Mont mais aussi curé de Pontorson et en charge de 16 clochers
Avec Hervé Bierjon, directeur de l’office du tourisme du Mont qui me guide nous retrouvons le père André pour un café à la Maison du pèlerin (dernière maison en haut de la rue, à côté de la librairie Siloë et du Centre d’Accueil Saint-Aubert). Le père André jamais lassé de la beauté exceptionnelle des lieux est une personnalité sur l’île. Sa mission, nous dit-il c’est être à l’écoute, être attentif aux pèlerins. Il est d’ailleurs très actif au sein de l’association des Villes sanctuaires de France. Lui, le recteur du Mont et par ailleurs curé de Pontorson (sur le continent) et en charge de 16 clochers n’hésite pas à dire que si les frères et les sœurs de la communauté monastique de Jérusalem n’étaient pas là, il manquerait quelque chose à cette abbaye, ce serait une coquille vide. Et il ajoute : il y a beaucoup de gens qui rendent un culte superstitieux à saint Michel. Il ne faut pas les rejeter. Ils sont souvent dans une vraie détresse. Pour le père André, le retour au caractère maritime du Mont est une belle réussite. Mais pour ses paroissiens, l’accès est un problème : comment voulez-vous venir à la messe comme avant. Garer sa voiture, payer 12,50 € et prendre la navette puis monter jusqu’à Saint-Pierre ? Nous l’accompagnons saluer l’évêque Mgr Le Boulch’h et partager un morceau de gâteau au chocolat dans le réfectoire.
*Le Centre d’Accueil Saint-Aubert réserve 7 lits pour une nuit aux pèlerins à pied munis d’une crédentiale (passeport du pèlerin).
Jusqu’à la chapelle Saint-Aubert
Il me restait, accompagné de Hervé Bierjon à déambuler sur ce rocher qu’il connaît si bien, emprunter des ruelles, des venelles, des raidillons, des escaliers souvent oubliés des touristes ; s’enchanter d’un Mont-Saint-Michel si impressionnant dans cette belle lumière de fin d’après-midi ; un arrêt dans le jardin de l’Isle des Bas où les pèlerins se regroupent pour la prière vespérale ; rencontrer le beau sourire de sœur Claire-Anaëlle, prieure de la fraternité monastique de Jérusalem (la communauté des sœurs), elle si calme, si apaisante dans le brouhaha de cette fin de pèlerinage. Enfin, une dernière visite comme un retour aux origines, 1300 ans en arrière. Cette chapelle Saint-Aubert érigée au XVe siècle au pied du rocher, face à cette immense baie n’est-elle pas à l’image de l’oratoire voulu par Aubert au VIIIe siècle ? Ce petit oratoire de rien du tout qui fut la première pierre de la plus extraordinaire abbaye de l’occident médiéval.

Le Mont-Saint-Michel Pratique
Plan pour se retrouver sur le Mont
Les à-côtés du Mont
Le business « Mère Poulard »
Sur le Mont, difficile d’y échapper, elle est omniprésente (restaurants, hôtels, auberges*, boutiques, musée…, en tout, une trentaine d’établissements). Elle a fait du Mont, un empire bâti sur son omelette, la meilleure du monde depuis 130 ans. Tout avait commença en 1888, lorsque Annette originaire de Nevers dans la Nièvre, cuisinière hors-pair, alors âgée de 36 ans, et son époux Victor Poulard ouvre une auberge au cœur du village du Mont-Saint-Michel afin d’accueillir le retour des pèlerins et les premiers touristes.

Eric Vannier, l’homme du Mont-Saint-Michel
Aujourd’hui, derrière La Mère Poulard, un homme d’affaire, enfant du pays, Éric Vannier (petit-fils de Renée Vannier, amie d’Annette Poulard) qui a transformé cette omelette en poule aux œufs d’or. Lui qui fut maire du Mont-Saint-Michel pendant vingt-quatre ans (jusqu’en 2014) a su implanter l’image de La Mère Poulard à travers le monde, au Japon, en Corée, en Chine, au Québec, à New York… Grâce à lui, les étrangers affluent (450.000 Japonais arpenteraient paraît-il l’île chaque année). Non content d’être l’un des promoteurs du Projet de rétablissement du caractère maritime du Mont-Saint-Michel, rappelant que Jacques Cartier reçut sa lettre de mission pour découvrir de nouvelles terres au Mont-Saint-Michel, il a habilement agrandi son affaire. Il a su « griffer » à tour de bras au nom de La Mère Poulard (devenu marque mondiale), biscuits (sablés, galettes, cookies et palets provenant de la biscuiterie de Saint-Étienne-en-Coglès en Bretagne) mais aussi cidre artisanal, jus de pomme, thés, madeleines, gaufres, sardines… Aujourd’hui, La Mère Poulard est un groupe de 200 salariés qui fête ses 130 ans. Mais tout ne va pas pour le mieux. Le groupe fait actuellement face à un sacré avis de tempête. Cela va tanguer mais Eric Vannier* est à la barre, il saura par saint Michel et Saint Nicolas, en bon marin tenir le cap et maintenir le navire à flots.
*Eric Vannier est l’auteur du livre Les carnets de cuisine de la Mère Poulard, publié au Chêne en 2018.
Et pourquoi pas, dormir au Mont-Saint-Michel ?
Dormir au Mont-Saint-Michel, c’est avoir le Mont pour soi en profitant des quelques 135 chambres offertes intra-muros parmi l’un des neuf petits hôtels 2 et 3 étoiles du rocher. Seul inconvénient : traîner ses bagages sur les 2,5 km qui séparent le parking obligatoire de l’hôtel en franchissant le pont-passerelle ou entre l’arrêt de la navette au pied du Monte et votre chambre. Mais attention, la pente est pavée et plutôt raide (prévoir aussi des escaliers) !
Une retraite au Mont-Saint-Michel ?
Vous êtes les bienvenus au logis Saint-Abraham pour vivre un temps de prière (personnelle et communautaire) au rythme des frères et sœurs des Fraternités Monastiques de Jérusalem. Vous participerez aux trois offices de la journée (laudes, messe et vêpres) et partagerez la table des frères (pour les messieurs et les couples), ou des sœurs (pour les femmes). Vous pourrez aussi vous joindre à l’adoration du Saint-Sacrement et vivre le sacrement de réconciliation. Mais attention, la durée maximale est de cinq jours (du mardi midi au dimanche après la messe) : pour réserver (l’hôtellerie est fermée en juillet et août) :
Envoyer un mail à la soeur hôtelière
Fraternités Monastiques de Jérusalem : Hôtellerie BP 10-50170 Le Mont-Saint-Michel 02 33 58 31 71 (les mardis, jeudis, vendredis, samedis matin entre 9h30 et 11h30)
Ce ne sont pas simplement des belles pierres, une magnifique construction, c’est ce qui s’y vit, ce qui s’y célèbre qui en fait une Merveille, une véritable œuvre de Dieu. (Mgr Luigi Ventura)

François Collombet est l’auteur de 2 ouvrages sur les abbayes :